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« Ils ont le coeur b l a n c ! » Mais quand ils sont tristes et qu’ils souffrent, « ils ont le coeur n o i r ! » Oui, noir comme leur peau. Et c’est ainsi que pendant toute leur existence, du berceau jusqu’à la tombe, ils portent l’expression, ils personnifient le malheur et la souffrance! Et cette malédiction, ne la retrouvons-nous pas en lettres de sang et de feu dans toute son histoire! Avant même de la connaître, l’Europe lui a arraché ses enfants et les a vendus sur les marchés comme des bêtes de somme. Et puis, quand les explorateurs l’ont parcourue dans tous les sens, on les a vues, ces nations chrétiennes, courir à la curée, et à l’insu même des possesseurs légitimes du sol, se disputer encore les lambeaux de cette Afrique malheureuse ! Et cependant, que de titres n’a-t-elle pas à notre intérêt ! Elle a joué son rôle dans l’histoire; elle a sa part de promesses de salut et de bénédictions faites à toutes les nations; ses tribus, elles aussi, prendront part au glorieux concert de cette « multitude que personne ne pourrait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue » que l’apôtre, dans son ravissement, voyait devant le trône et devant l’agneau. Le prophète, dans sa vision, l’apercevait déjà « accourir étendant les mains vers l’Eternel ». N’aura-t-elle pas aussi son jour? Que sera-t-il? Quand luira-t-il, ce jour? En présence des événements qui se précipitent de nos jours sur les divers points du continent noir, des agissements des nations européennes, des flots de leur eau de feu et de mort que les unes y répandent sans pitié, des injustices et des cruautés que d’autres y commettent impunément, de cette immigration surtout qui monte, monte toujours comme une marée envahissante que nulle digue ne peut arrêter, de ces mines qui se multiplient, de ces villes qui surgissent, de ces colonies et de ces Etats qui se fondent, des voies ferrées qui s’élancent vers l’intérieur, au milieu de ces transformations vertigineuses et de ces violentes commotions qui préconisent l’enfantement d’un monde nouveau, on ne peut s’empêcher de se demander, avec un trouble et un malaise indéfinissables : Que vont devenir ces races africaines ? Quel est leur avenir?... Ah! quand, avec un cynisme glacial et sans honte, on ose nous répondre qu’elles deviendront ce que sont devenues les tribus indiennes de l’Amérique du Nord, et que leur avenir, c’est l’inanition et la ruine, nous nous sentons lésés dans notre dignité d’hommes, et le sentiment chrétien s’indigne et se révolte. Oui, sans doute, elles disparaîtront, si les nations chrétiennes, au mépris de leurs traités, foulent aux pieds les droits les plus sacrés de l’humanité, justifient l’oppression, l’injustice et la spoliation par l’abus de la force, et renouvellent, sous des formes mitigées, l’esprit de l’esclavage, qui reconnaît à peine au faible le triste privilège de servir et le droit de végéter! Et cependant, qu’on ne l’ignore pas, il y a dans la race noire une vitalité invincible. A Natal, en vingt ans, les Zoulous se sont doublés, et, en trente ans, les ba-Souto se sont quintuplés; ils ont rempli leur pays et déversé dans 1 Etat libre de l’Orange et la colonie du Cap et ailleurs la surabondance de leur population. On trouve dans cette race négroïde l’habileté 1 intelligence, le sentiment du devoir, la fidélité, l’amour du travail et le’ besoin du progrès, les qualités, en un mot, de l’esprit et du coeur — et les exemples ne sont pas rares — qui font les hommes, qui inspirent de grandes choses et de nobles dévouements. Ah! si elles avaient devant elles des siècles de cette éducation chrétienne qui a fait de nous ce que nous nous vantons d’être, qui peut dire ce que serait leur avenir!... Pour nous, chrétiens, dans ces temps d’une gravité sans précédent en Afrique, une tâche s’impose, grande, noble et pressante; cette tâche c’est une oeuvre de sauvetage! Ne nous soustrayons pas à nos responsabilités derrière la cruelle parole de Caïn : « Suis-je le gardien de mon frère, moi? » Le. temps le bon vieux temps n’est plus où tout en Afrique allait au pas lent des boeufs. Envahis, débordés par ce que nous appelons la civilisation, si nous ne pouvons plus songer à sauver les nations, le temps presse, hâtons- nous, sauvons du moins les hommes ! Assez longtemps « nous avons joué aux missions » et fait, nous aussi, nos grandes manoeuvres. Le sort des païens nous inspire encore des discours pathétiques et des lamentations attendrissantes; nos chants sont sublimes nos fêtes enthousiastes, nos protestations de renoncement édifiantes; nos coeurs, nos corps, nos vies, tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes, ou. tout est sur l’autel du sacrifice, et nous n’attendons plus que le feu du ciel qui doit les consumer; comme la veuve, il semble que nous soyons prêts à donner de « notre nécessaire, tout ce que nous avons pour vivre » puis nous lever comme un seul homme pour marcher à la conquête du inonde, en chantant : Debout, sainte cohorte ! et Jusqu’à la mort nous te serons fidèles !... • Et puis, dans la pratique, dans les détails de la vie, où est l’esprit de sacrifice? A quelle discipline savons-nous nous soumettre? Que retranchons- nous de nos besoins et de nos aises et de notre luxe? Ne nous arrive-t-il pas de marchander à Dieu l’offrande même de notre superflu? de lui donner du cuivre au lieu d’argent, de l’argent au lieu d’or?... Hélas! hélas! notre zèle s évaporé comme la rosée du malin! Revenus de notre dévouement spasmo- HAUT-ZAMBÈZE.


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