Du reste, les annales de la mission sont là, et elles ont aussi leur éloquence : celle des chiffres, et à leur place ils sont incontestables. Depuis 1884 jusqu!à ce jour, le personnel de la mission, hommes et femmes, s’est monté à 43 personnes, dont »4 Européens et ig ba-Souto. 6 sont morts au pays (3 Européens et 3 ba-Souto) et io, à une ou deux exceptions près, ont quitté le pays pour cause de santé. Ajoutez-y 12 enfants morts, dont 6 Européens, et 4 hommes, tous ba-Souto, de la première expédition, et le chiffre des tombes se monte à 26, dont deux ou trois sont comme des jalons sur la route et les autres sont creusées sur'les rives du Zambèze. Récemment encore, c’était celle de M. Goy à Séchéké, suivie de près de celle de M. Buckenham, de la Mission méthodiste, deux hommes forts et vaillants. En les voyant tomber, c’était comme si j ’avais entendu le bruissement des ailes de l’ange de la mort. 11 a passé près, tout près, et j ’ai frémi. Mon Dieu! le temps est court! Garde- nous de la tristesse qui abat et du découragement qui paralyse. Et l’ombre noire qui se projette sur ce tableau — nous n’avons pas un seul docteur. Le jeune Dardier, de Genève, qui avait étudié à Edimbourg, victime d’une insolation et de la fièvre, n’y a vécu que six mois à peine. Il est tombé, personne n’a pris sa place, et jusqu’ici nos appels sont restés sans écho. Et si maintenant nous faisions le bilan de ces douze années de travail, qu’aurions-nous à montrer? A tort ou à raison, j ’ai une défiance invincible pour la statistique. L’arithmétique pas plus que la géographie du royaume des cieux n’est pas celle du monde. Au champ que nous défrichons avec larmes et labourons avec peine, comptant chaque coup de pioche, il nous semble que le travail n’avance pas ; c’est la tâche qui est encore devant nous qui nous accable. Nous les connaissons, ces heures de défaillance où nous aussi, dans l’angoisse de notre âme, nous nous sommes écriés avec le prophète : « C’est en vain que j ’ai travaillé; c’est pour le vide et le néant que j ’ai consumé ma force. î Cependant, si après ces douze années de labeurs nous jetons sur notre oeuvre un regard rétrospectif, il y a des progrès que nous devons constater à la gloire de Dieu. Il est indubitable qu’un grand changement, qui s’accentuera toujours plus, est déjà intervenu dans le pays : l’interdiction des boissons spiritueuses, de la traite des esclaves et des pratiques barbares de la sorcellerie, la sécurité de la propriété, le respect et le prix de la vie humaine, des indices de civilisation, d’un besoin réel chez les ba-Rolsi eux-mèmes de développer leurs goûts et leurs talents industriels, ce sont là, dans divers domaines, des victoires que l’Évangile a remportées sur le paganisme. « Et c’est non seulement le bien que nous pouvons constater, comme me l’écrivait un ami, mais c’est aussi tout le mal — et qui le dira? —.îqu’il a empêché. » Pauvres Zambéziensl pauvre « peuple assis dans les ténèbres..., les ténèbres de la région de l’ombre de la mort ! » Aujourd’hui, pourtant, pour lui aussi la lumière s’est levée. Ces cinq stations, échelonnées le long du fleuve sur une distance de plus de cent lieues, sont chacune un centre plus ou moins important d’éducation et d’é- vangélisation. Bien que le réveil d’il y a deux ans ne nous ait pas donné tout ce que nous en attendions et que nous ne puissions pas encore vous montrer nos gerbes avec le chant joyeux des moissonneurs, nous pouvons du moins cueillir quelques épis, qui sont les prémices de la moisson future. Avec notre école industrielle qui, en honorant le travail, brisera les reins de l’esclavage, et avec notre jeune école d’évangélistes, avec votre coopération et la bénédiction de Dieu, nous attendons encore de grandes choses. Élevons donc notre Ébenezer à la gloire de Dieu. Jusqu’ici il nous a secourus, et ce qu’il a fait dans le passé nous est une garantie des choses plus grandes encore quil fera dans l’avenir, <t Non point à nous, ô Éternel! non point à nous; mais à ton nom donne gloire à cause de ta bonté et de ta fidélité! n (Ps. 115, Au seuil de F Afrique centrale, chacune de ces pages vous le rappelle! Plongez donc le regard, si vous le pouvez, dans ces ténèbres épaisses du pays lui-même et des régions d’au delà! Que sont nos cinq stations? Qu’est celle de la Mission méthodiste chez les ma-Choukouloumboué, ou celles de nos frères de Plymouth chez les ba-Loubalé, et sur les rivages du lac Benguéolo où est tombé Livingstone ? C’est juste assez pour nous montrer et faire toucher les ténèbres qui nous environnent. Il nous semble parfois que nous soyons des sentinelles perdues de ces postes avancés. Et, pour moi qui y ai vécu et qui en reviens, je suis hanté comme d’un affreux cauchemar. N’avez-vous jamais été frappé, mon cher lecteur, de la malédiction étrange qui de temps immémorial a pesé sur l’Afrique? Quelle en est l’origine ? Je ne le sais pas, c’est un mystère. Pauvre Afrique ! n’esl- elle pas comme une larme qui est tombée brûlante et s’est pétrifiée sur notre globe !... Cette malédiction, je la vois partout, sur ses côtes sans, golfes et sans baies, marécageuses et pestilentielles, ses rivières avec leurs barres de sable, leurs rapides et leurs cataractes, ses immenses déserts arides et désolés, ses forêts avec leurs impénétrables fourrés d’épines : son sol est maudit. Des fléaux sans cesse renaissants la désolent. Ses propres enfants, dans leurs huttes de paille et de roseaux, n’y vivent, dirait-on, que comme des gens de passage qui ne sont pas chez eux. Leurs fêtes mêmes vous inspirent la tristesse; leurs chants, ce sont des mélopées dont les accents mineurs vous arrachent des larmes. Ils sont loin de croire que nous, Européens, nous ayons le monopole de la beauté, et cependant c’est à notre couleur blanche qu’ils empruntent le symbole du bonheur et de la joie :
27f 90-2
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