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tant de deuils et de larmes ! Puissent ces affligés aux coeurs brisés trouver en Jésus, Lui-même VHomme de douleur, le repos de leurs âmes. Quant à moi, comment ne pas me recueillir et ne pas chercher à comprendre la voix de mon Dieu? Après une carrière de quarante années, si mouvementée, si pleine d’aventures, d’épreuves et de dangers, mais aussi de délivrances et de bénédictions, ramené si récemment encore du bord de la tombe, échappé aux malheurs de fa peste bovine et au massacre des ma-Tébélé, arraché pour ainsi dire au naufrage, et rendu comme par miracle à la santé que je n’espérais plus, je me demande si Ce n’est pas que mon Maître ait encore pour moi quelque chose à faire, soit en Europe, soit en Afrique ! L’Afrique, elle a eu ses vaillants pionniers missionnaires anglais et américains, allemands et français, des hommes dont nous ne prononçons les noms qu’avec, une vénération profonde. Ils appartenaient à « la race des géants ». L’un d’eux, M. Arbousset, en posant pour la première fois le pied sur le sol de l’Afrique et en contemplant ce formidable massif des montagnes de la Table qui symbolisait à ses yeux la puissance de ce paganisme qu’il venait attaquer au nom de son Dieu, s’écriait : « Qu’es-tu, grande montagne, devant Zorobabel? =**!Une plaine! » — Et moi, en quittant cette terre des noirs où j ’ai si longtemps vécu, travaillé et souffert, comme je contemplais ce meme massif de montagnes, qui s’affaissait et allait disparaître à ma vue, il me semblait entendre la voix de mon Dieu me rappeler sa promesse : « Quand même les montagnes s’éloigneraient et que les collines s’écrouleraient, mon amour ne s’éloignera pas de toi. » (Es. 54,10.) Et nous en avons bien fait l’expérience : « Toutes les promesses de Dieu sont oui en Jésus-Christ et Amen par lui. o> (2 Cor 1, ao.) « H a été notre bouclier et notre très grande récompense. » (Gen. i 5, 1.) Mais il faut conclure. L’oeuvre de pionnier est nécessairement hérisséei de difficultés. Jamais encore on n’a vu l’Évangile dans aucun pays faire une entrée triomphale, par une route royale, à enseignes déployées. C’est par la porte et le cachot d’une prison qu’il a pénétré dans notre vieille Europe. C’est par Gethsémané, par le Calvaire et la Croix qu’il a été manifesté au monde. <t Et moi, disait le Sauveur en parlant de sa prochaine crucifixion, quand je serai élevé, j ’attirerai tous les hommes à moi ! » « S’il faut que tout genou fléchisse à son nom et que toute langue confesse qu’il est le Seigneur à la gloire de Dieu le Père, il a fallu qu’il se dépouillât d’abord de lui-même, qu’il s’humiliât et se rendît obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. » (Phil. 2.) . . Et c’est aussi là le chemin que doivent suivre ses disciples, leur apostolat aura toujours le même caractère et le même esprit. « Voici, dit-il encore aujourd’hui, je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups... Vous aurez des afflictions, de l’angoisse, vous serez haïs... Le disciple n’est pas plus que son Maître... Mais ne craignez point..., les cheveux de votre tête sont tous comptés. Allez !... et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Telles sont aussi nos expériences. Les difficultés nombreuses, parfois formidables, ont surgi du dedans comme du dehors, tant de notre manque de sagesse, de courage et de foi, que des circonstances où nous avons été placés. Elles nous sont souvent survenues d’où nous les attendions le moins. Portés d’abord sur une vague de sympathie populaire, nous nous sommes vus ensuite mal compris, mal jugés, et, au moment de l’action, abandonnés par ceux dont le jugement avait une grande valeur à nos yeux, et sur la coopération et l’appui desquels nous avions cru pouvoir compter. A cela sont venus s’ajouter les soucis de tout genre avec les embarras financiers. Le croirait-on ? Le caractère éclectique et désintéressé de notre mission nouvelle ne nous a pas ouvert dans les coeurs autant de portes qu’on aurait pu le supposer, et il nous en a fermé plusieurs. En France, on nous objectait « le caractère aventureux et chimérique de notre entreprise » et l’absence d’intérêts nationaux dans ces contrées lointaines où ne flotte point le drapeau tricolore. Et quand le grand courant colonial s’est formé avec Tahiti, accentué avec le Congo et débordé avec Madagascar, on n’a pas hésité à prononcer même pour le Lessouto les mots cf abandon et 1f échange! Comme si l’on abandonnait si légèrement des mines d’or et de diamants qui vous enrichissent, pour en exploiter d’autres dont le caprice de la politique exproprie les possesseurs légitimes !... Comme si l’on troquait les hommes comme des choses, des églises enfantées avec douleur, élevées au prix de tant de sacrifices, et que les liens sacrés d’une parenté spirituelle poussent à se cramponner à nous, comme nous à elles. Et pourtant, nous qui portons encore le deuil de 1871, nous serions prêts à créer, nous aussi, dans le domaine de la mission, une de ces anomalies douloureuses qu’on appelle TAlsace-Lorraine ! Pourquoi ne pas croire au contraire que Dieu ne nous met jamais dans l'impossible absolu, et qu’avec de nouveaux devoirs et de nouvelles responsabilités, il nous ouvre aussi de nouveaux trésors de sa grâce? Plus grande est la part qu’il nous fait à son oeuvre, plus il nous honore. A nos pères il a donné la grâce de le confesser sur les galères, dans les prisons et sur les échafauds ; c’est encore une grâce qu’il fait à nous, leurs enfants, de le glorifier par notre activité et par nos sacrifices d’hommes et d’argent sur le champ missionnaire. Madagascar sera l’école militaire de nos éqlises huque- notes.


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