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Qu’ils sont doux, ces chants de la nuit ! Pour qui les apprend à l’école du Seigneur, les circonstances extérieures sont singulièrement transformées et sanctifiées, et même le désert, sa solitude et ses impraticables bourbiers deviennent autant de Béthels. Je bénis Dieu de m’avoir fait passer par là. De Pandamatenga à Boulouwayo, le voyage a été bien moins difficile. Les pluies ont complètement cessé, les marécages se sont desséchés, les étangs avaient de l’eau et la route était bonne. Nous laissâmes les sables profonds en quittant la route de Palapchoué et nous cheminâmes sur un terrain sûr. Le pays est boisé, avec quelques éclaircies çà et là. Mais c’est toujours « la brousse », dont les fourrés épineux obstruent le chemin et s’acharnent à nos tentes de wagons. Rien, absolument rien, dans cette végétation arborescente qui rappelle que nous sommes sous les tropiques. De Pandamatenga — un amas de masures devenu une ferme, — jusqu’à Boulouwayo, une distance d’environ 3oo milles, nous n’avons pas rencontré âme qui vive, si ce n’est quelques ma-Saroa ou Bushmen qui errent dans ces bois. Quel est l’avenir de ce pays? Sera-t-il jamais habité, colonisé? A présent, ces immensités où règne un silence de mort que les cahotements de nos voitures et les claquements de nos fouets seuls interrompent, ont un je ne sais quoi d’indéfinissable qui vous saisit. On s’y sent petit, impotent, perdu ! Un jour que nous cheminions dans un petit vallon verdoyant, entre des monticules boisés, nous nous arrêtons tous comme involontairement devant un arbre isolé. A son pied, une haie d’épines entourait un tombeau. Sur le tronc une main amie avait enlevé un carré d’écorce et grossièrement tracé cette épitaphe : STUART 5 JA N . 1895. C’était, paraît-il, un capitaine de l'armée anglaise qui, après avoir été en garnison à Natal, allait rentrer dans sa patrie. Mais avant de quitter l’Afrique, il avait voulu voir les chutes Victoria. Il s’était mis en route tout seul, avec un ou deux porteurs indigènes, et avait atteint son but. Il parait que c était un homme plein d’énergie et aimant les aventures. Au retour la fièvre le prit. Il se traînait péniblement en proie aux tortures de la soif, et abandonne par ses garçons, il s’était couché sous cet arbre et il y mourut. Un passant, ou quelqu’un qui avait eu vent de son sort, vint lui rendre la sépulture. Et ne croyez pas que ce soit là un cas isolé. Loin de la. On raconte des histoires bien tristes d’officiers anglais, de jeunes gens de bonne famille, tous pleins de vie et de pétulance, ne rêvant qu’aventures dans ce pays de la liberté, mais sans prudence aucune : ils s’aventurent souvent tout seuls à la chasse, s’égarent dans les bois et finissent par y mourir de soif. Leur lieu de repos n’est connu que de Dieu seul; là ils dorment ignorés et inconnus dans ces solitudes silencieuses. C’est le i 5 courant que nous arrivâmes enfin à Boulouwayo. Je n’aurais pas pu aller plus loin sans m’arrêter; j ’étais à bout de forces. Le lendemain, j ’étais admis à 1 hôpital, ce refuge de ceux qui n’ont ni foyer ni amis, et entre les mains d’un docteur qui me témoigna beaucoup de bonté et d’intérêt. Non seulement il me donna ses conseils et ses soins gratis, mais il m’obtint la même faveur de la direction de l’hôpital. Et ce: n’est pas peu de chose, quand autrement l’on paie 18 fr. 5o c. par jour. Les autorités me pressaient d’y rester deux ou trois mois « leur hôte », disaient gracieusement ces messieurs, jusqu’à ce que de l’avis du médecin je pusse continuer mon voyage. Il n’est pas jusqu’aux soeurs de charité qui ne m’aient prodigué les soins les plus assidus avec un dévouement et dans un esprit chrétien qui m’ont souvent édifié. Et parmi le petit nombre d’amis que j ’y ai trouvés, c’est le jeune Howard Moffat qui s’est ingénié et n’a épargné ni ses peines, ni son temps, ni son argent pour pourvoir au confort de l’ami de son père et le disciple, pour ne pas dire l’admirateur, de son grand-père, le missionnaire Moffat, de mémoire vénérée. C est ici, il vous en souvient, qu’il y a dix-huit ans Lobengoula nous avait retenus prisonniers. Quels changements depuis lors! Voici une ville qu’on a tracée sur une grande échelle et qui promet de devenir un autre Johannesburg. Vous seriez étonné du prix du terrain, comme du prix de toutes les denrées en général. Et on y mène une vie, le croiriez-vous, aussi agitée, aussi affairée qu’à Londres. On n’a le temps de voir personne, ni de causer à l’aise avec personne. C’est un tourbillon incessant. L’emplacement de la ville couvre un vaste plateau entouré de coteaux légèrement boisés et déjà parsemés de villas.- Que sera Boulouwayo dans vingt ans ? Les transformations qui se font en Afrique sont si grandes et si soudaines ! Nous nous disons que l’Afrique aura son jour, elle aussi. Mais que sera-t-il, ce jour?... Qui nous le dira?...


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