il venait passer près de moi de ces moments où, sans beaucoup de paroles, le coeur sait parler au coeur. Et quand, à son départ, je lui demandai de n’oublier ni nos ba-Rotsi, ni notre oeuvre, je compris que cet homme nous avait donné une partie de lui-même. Je ne le trouvai plus à Kazounqoula, il l’avait quitté pour l’Europe avec son ami M. Reid. Le capitaine Gibbons, lui, était resté. Il s’était imposé la tâche de relever le cours du Zambèze, et il était on ne peut mieux qualifié pour cela. Habitué à la vie des camps et à la discipline militaire, il faisait peu de cas — trop peu peut-être — des conforts de la vie sédentaire. Malheureusement il était malade et moi aussi. Il a de grands plans, de nobles ambitions. Il est capable d’endurer beaucoup et de travailler beaucoup, si Dieu lui donne la santé. C’est ce que je désire pour lui. Vous me pardonnerez cette digression, la dernière je pense. Mon wagon est enfin arrivé, et dans quelques jours nous traverserons le fleuve. A cette douloureuse perspective, vous le comprenez, j ’ai le coeur gros. C’est un bouleversement complet de mes plans et de mes désirs. Et cependant un rayon de lumière éclaire mes ténèbres et ma tristesse. Quelle différence entre le passage d’aujourd’hui et celui de 1884 ! Alors, pas une âme dans cette immense contrée qui connût le nom même du Seigneur, pas une qui le priât. Divisés forcément en deux bandes pendant la traversée de mes bagages, le soir, au bivouac, nous nous entre-répondions d’une rive à l’autre par nos chants. Tlong ho Yésou! (O venez à Jésus!) et nos voix se perdaient dans le désert sans écho. Aujourd’hui, reconnaissons-le à sa gloire, le Seigneur a fait de grandes choses. Cette station même de Kazoungoula, avec son grand village, où tout est si prospère, le témoigne. Malgré les départs et les défections qui nous ont si souvent affligés, nous avons actuellement 7 missionnaires européens, avec 4 dames, 6 évangélistes et leurs femmes, tous dévoués à notre chère mission, tous unis dans les liens intimes d’une famille. Nous comptons 5 stations florissantes et, sur chacune d’elles, un nombre plus ou moins grand de Zambéziens qui professent avoir trouvé le Sauveur. Aujourd hui, on .chante ici les louanges de Dieu et on prie. Le roi lui-même reste ce qu’il a_ été ces temps derniers, bien disposé, mais hésitant. Au moment où nous allons traverser le fleuve, il me fait savoir qu’il a renvoyé deux de ses femmes et me donne à entendre que ce pourrait être le commencement de la dispersion de son harem. C’était un ballon d’essai, je suppose, pour se rendre compte de l’impression qu’une mesure radicale produirait tant sur les chefs que sur la nation. Dans ma réponse, je le conjure de ne pas marchander avec Dieu plus longtemps, mais de se donner entièrement. jù Mais, ce qui me remplit de joie et de reconnaissance envers le Seigneur, c’est surtout cette école <f évangélistes que nous avons confiée à notre cher frère Adolphe Jalla avec dix élèves. Mon pauvre Séonyi était le onzième et Sémonji eût fait le douzième, tous des jeunes gens du pays et le fruit de nos écoles. Et puis voilà M. et M“ Mercier qui vont relever les ruines de Séfoula et y ouvrir enfin notre école industrielle. Ne sont-ce pas là les lueurs qui annoncent l aube du jour où la gloire de Dieu brillera dans ce pays, et où les ténèbres dii paganisme se dissiperont? Et puis, faut-il le confesser? je ne puis m’empêcher de caresser l’espoir que mon départ du Zambèze n’est pas définitif. Dieu peut me rendre la santé, renouveler ma jeunesse et me permettre de revenir un jour dans ce beau champ de travail, alors que la moisson sera venue et que ceux qui ont semé et ceux qui auront déjà moissonné pourront se réjouir ensemble. Boulortwayo, février 1896. Notre voyage, de Kazoungoula jusqu’ici, a été exceptionnellement difficile. Le tracé de la route, comme le pays lui-même, n’était qu’une épouvantable londrière ou nos boeufs s’enfonçaient jusqu’au ventre, parfois sans pouvoir prendre pied pour donner un coup de collier, et nos voitures, les quatre roues a la lois, s affaissaient dans ces interminables bourbiers. Il fallait alors, pour les alléger, que nos garçons portassent à dos nos bagages et nos provisions. Nous n avancions qu’en doublant nos attelages et en traînant nos wagons lun après l’autre, de bourbier en bourbier, de sorte que nous étions souvent séparés des jours entiers. Malade ou non, impossible de rester indifférent à des difficultés qui menaçaient de faire avorter notre voyage. Aussi, souffrant, épuisé, dormant mal, mangeant peu, je me demandais quelquefois si j ’arriverais jamais au terme d’un voyage si extraordinairement aventureux et pénible. Mais, qui se lasserait de le répéter? Le Seigneur est bon et fidèle. Gomme sa présence illumine les ténèbres! et comme sa communion fortifie! Que de leçons il nous enseigne dans les difficultés, et que de bénédictions il nous fait trouver dans les épreuves! C’est alors que nous apprenons « les chants de la nuit ». Ne croyez-vous pas que ce soit un ange qui veille à notre chevet et qui, dans un sommeil agité et entrecoupé, vient murmurer à notre oredle un message d’En-Haut, une promesse, une prière et une louange : « Ma grâce te suffit! » — « Ne vous inquiétez de rien, car il prend soin de vous. » - «1 Invoque-moi au jour de ta détresse, je t’en délivrerai et tu me glorifieras, » etc.
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