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Le samedi matin, je me remis en litière pour Nalolo. Mais avant que mon triste cortège se mît en route, m’arriva un express d’Adolphe. Son corps ruisselait de sueur, il avait les yeux hagards, la voix étouffée, et ses lèvres tremblaient. Qu’est-il donc arrivé? J’ouvre le billet qu’il me tend. Quelle atterrante nouvelle ! Séonyi, mon garçon, vient de se tuer d’un coup de fusil!... Voulant chasser des canards pour moi, il tira des bagages, par le canon, son fusil qui, selon l’incorrigible habitude de tous les indigènes du sud de l’Afrique, se trouvait chargé et armé. Un accroc lâcha la détente, et le malheureux garçon reçut toute la charge de grenaille dans la tempe. Il tomba insensible, et peu de temps après rendait le dernier soupir. Les Adolphe conduisirent son cadavre à Nalolo, où je ne pus que dégonfler mon coeur sur son tombeau ! Quel nuage sur le commencement de ce voyage que tout concourait à rendre déjà si triste! Les chers Adolphe m’accompagnèrent jusqu’à Séoma, et M. Goy vint me rencontrer dans les parages de Katima-Mollo. Malgré tous les soins qu on avait mis à rendre mon canot aussi confortable qu’un canot peut 1 être, le voyage m’éprouva beaucoup. Il me semblait parfois que je ne pourrais jamais arriver au bout de la première grande étape, à Kazôungoula. M’y voici pourtant par la bonté de Dieu. Je ne suis pas sans de vives appréhensions au sujet du voyage en wagon qui est devant moi, et bien autrement pénible qu’en canot. Mais j ’ai tort. Le mieux, c’est de m’abandonner entièrement au Seigneur et me confier en Lui, sans restriction, pour tout ce qui me concerne. Il ne se trompe jamais, Lui. ’ • ' . Les chers Adolphe Jalla tout d’abord, puis les amis Goy et les Louis Jalla ensuite, m’ont prodigué tous les soins que peut inspirer l’affection. Il n’en est pas moins vrai que de tomber malade, seul et sans secours médicaux éclairés dans ce pays; c’est chose cruelle. Dans notre ignorance, nous faisons pour le mieux. Nous combattons souvent les symptômes et nous ignorons la nature du mal. Dieu est miséricordieux envers ses enfants. Il l’a été envers moi, car outre les amis que j ’ai mentionnés, il m’a fait trouver parmi mes garçons, non seulement une affection que je connaissais bien déjà, mais aussi un dévouement dont je me doutais peu et qui ne s’est pas démenti. Sémonji, surtout, m’a été un garde-malade admirable, prévoyant mes besoins, s’ingéniant pour tenter mon appétit et égayer ma chambre de malade, faisant tout avec empressement, joyeusement et sans bruit. Il ne m’a jamais quitté, ni de nuit ni de jour. Et le soir, quand il étend sa natte au pied de mon lit, il faut l’entendre' épancher son coeur en supplications, demandant un peu de mieux, un peu de sommeil pour « son père, ce vieux serviteur de Dieu ! v Et dans la nuit, instantanément sur pied au premier appel pour allumer le feu, chauffer de l’eau sans jamais un signe d’impatience ou d’humeur! Qu’aurais-je jamais fait sans lui? Qu’aurais-je jamais fait s’il se fût fatigué de son service? Le cher garçon, en apprenant ma résolution de quitter le pays pour ' chercher des secours médicaux, m’a instamment supplié de ne pas le laisser derrière. Il ne veut pas me quitter que je ne sois mieux, qu’ « il ne me sache en bonnes mains »; il ira partout où j ’irai... Et si j ’allais en Europe?,.. Eh bien oui, il y ira, lui aussi, à moins que je ne le renie comme mon enfant. C’est jouer gros jeu, je le sais, mais il me semble voir si clairement la main de Dieu en tout cela, que je suis sans crainte. Quant à mon pauvre Nyondo, lui, il est marié, donc pas question de l’emmener. Et puis nous comptons sur lui pour l’évangélisation. Pauvre garçon! chaque fois qu’il était question de mon départ, il mettait sa tête sur ses genoux et se prenait à pleurer. Il a voulu m’accompagner jusqu’ici, et, comme je m’y attendais, nous avons eu des scènes attendrissantes. J’ai passé trois semaines à Kazoungoula, attendant le wagon qui amenait mes bagages. C’est là que je rencontrai le capitaine Gibbons. Il est un des membres d’une expédition intéressante dont je dois dire quelques mots. Elle se composait de MM. Reid, de Londres, Bertrand, de Genève, et de lui-même officier de l’armée anglaise. M. Reid en était à son troisième ou quatrième’ voyage dans nos régions zambéziennes. Nous l’y avions rencontré en i 885, au moment où notre expédition venait de traverser le fleuve. 9 chassait l’hippopotame. Vrai gentilhomme, plein de bonne humeur et d’entrain, c était un immense plaisir de l’avoir à notre modeste table, sous notre abri de paille. Chose étrange ! il était accompagné de ba-Toka qui avaient été à notre service;; et pendant le repas il nous faisait admirer, sans savoir où ils les avaient prises, les mélodies qu’ils chantaient au bivouac et que nous leur avions enseignées à Léchoma. Donc la semence ne s’était pas perdue. M. Bertrand, lui, si connu par ses grands voyages autour du monde je 1 avais vu à la capitale. Avec M. Reid, il avait exploré le cours de la Machilé, un petit affluent du Zambèze, et fait des travaux dont ces messieurs rendront compte aux Sociétés de géographie de Londres et de Paris et qu’ils mettront sûrement sous les yeux du public. Si M. Bertrand dit avoir reçu quelque bien parmi nous, c’est qu’il nous en a fait aussi. Rarement j ’ai vu un étranger chrétien s’intéresser comme lui à tous les détails de notre, oeuvre. Il pouvait passer des heures à l’école journalière et à celle du dimanche, aux cultes publics, aux réunions de toute nature, suivre l’un ou l’autre de nous partout au lékhothla, de maison en maison; il s’informait de tout, se faisait tout expliquer, s’initiant, sans indiscrétion mais par la force même d’un courant de vraie sympathie, aux détails de notre vie. Si bien que nous en étions venus à le considérer absolument comme 1 un des nôtres. Il vivait de notre vie, nous voyait tels que nous sommes, suivait nos discussions et y prenait part à son gré. Si, confiné dans ma chambre, je ne pouvais jouir de la surabondance de toute cette jeune vie,


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