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duiront. Seulement, ajouta-t-il, ne prenez pas les ba-Loubalé pour des femmes s... Puis, tout à coup, il se jette à la renverse, se raidit, gigotte, s é- qratigne, fait d’affreuses contorsions, il roule les yeux, grince des dents et pousse des cris horribles. Puis, soudain, se calmant, il se lève et se sauve dans sa cour. Nous restons ébahis. J’avais cru d’abord que l’homme avait une crise et je voulais faire chercher de l’eau ; mais tout son monde s’était levé et, pour l’applaudir, poussait des cris sauvages. Je compris alors que Kakengé vantait son courage en imitant une bête féroce luttant avec sa proie et la dévorant. Que n’avais-je ma caméra 1 Cette dernière scène tragi-comique eût un peu terni les bonnes impressions de mes compagnons, si Kakengé ne s’était hâté de nous envoyer, avec un peu de nourriture, un aimable messager, nous invitant à aller le lendemain « chanter chez lui ». C’était le jour de la Pentecôte. Dieu s’était glorifié. Je rie sentais ému, le soir, en voyant mes gens à leurs feux cuire leur nourriture. Les uns causaient, commentant avec animation les événements ; les plus jeunes, eux, reproduisaient la scène sauvage dont ils venaient d’être témoins ; d’autres étaient pensifs et ne disaient rien. La prudence me fit renoncer à poursuivre^ mon voyage jusque chez Nya- katoro, et on peut le comprendre sans plus d’explication. Le lendemain, le jour de la Pentecôte, nous allâmes au lékhothla, non plus comme des disgraciés, cette fois. Les fusils avaient disparu ; Kakengé et ses hommes se groupèrent autour de nous; nos chants attirèrent les femmes et les enfants du village et, là aussi, nous publiâmes la bonne nouvelle du salut. Liomba étonna grandement Kakengé quand il lui dit qu’ü était un croyant, lui, le qendre du roi, Liomba. 11 pensait sans doute — et il n est pas le seul — que l’Évangile est pour les pauvres et les petits de ce monde... et non pour les grands que Dieu honorera d’une manière spéciale ou qui, peut-etre, honoreront Dieu en entrant dans son ciel. Je le surpris à mon tour en lui annonçant ma décision de rebrousser chemin. « On dira que c’est Kakengé qui t’a arrêté », ditril. Mais, voyant que j’étais bien décidé et qu’aucune de ses promesses ne pourrait m ébranler, il voulut absolument que nous ne prissions congé de lui que le lendemain matin. «Mais nous voulons partir de bonne h e u r e 1 — N importe, on me réveillera. » En effet, le lundi de grand matin, pendant qu’on abattait la tente et charqeait les canots, nous courûmes chez lui et le trouvâmes nous attendant. Je pus même, malgré sa répugnance, prendre u n e mauvaise photo- qraphie de lui. Il nous donna encore une corbeille de farine : « Reviens l’année prochaine, me dit-il, tu ne trouveras plus d’obstacles sur ton chemin, et tu prendras deux de mes enfants pour les instruire. Je te les donnerais aujourd’hui, mais le chemin de Léalouyi n’est pas encore assez battu. » J’étais tout à fait de son avis. Une fois en bateaux, je vous laisse â penser si nos bateliers ramèrent ! Le point noir, maintenant, c’était la disette. Eh descendant, nous apprîmes qu’un chef, du nom de Kénya, dans l’espoir que nous passerions chez lui, avait effectivement intercepté nos messagers et même la lettre qu’il devait expédier à Kakengé. Son village était trop loin du fleuve, et nous ajournâmes notre visite jusqu’au retour. De dépit, lui ne voulut rien expédier. Cela explique en partie l’attitude de Kakengé, et l’exonère à mes yeux. Je le confesse, quand il protestait n’avoir rien reçu de nous, je ne croyais pas à sa véracité. Quoi qu’il en soit, je crois que cet incident ne contribuera pas peu à amortir les animosités intertribales et à affermir la paix. Une chose bien certaine, c’est que si plus tard je pouvais refaire le même voyage, même avec une bande de ba-Rotsi, nous n’aurions plus les mêmes dangers à courir. L’infortuné Kénya, apprenant nos aventures, était hors de lui-même et courait après nous. Nous ne pouvions pas l’attendre, la faim nous chassait. Tout en le condamnant, nous fîmes tout ce que nous pûmes, par le moyen de son frère Mosoandounga, pour le calmêr et le rassurer. Cela nous empêcha de prendre son enfant chez Mosongo pour l’emmener à l’école, ainsi que cela avait été convenu. Au retour, notre brave ami Sindé nous reçut avec la même chaleur de coeur qu’en allant. Malheureusement, une ophtalmie purulente, qui le retenait dans sa maison, nous empêcha de le voir. Ce fut aussi la cause pour laquelle son propre fils et deux de ses neveux ne purent non plus partir avec nous pour venir à l’école, Dès le commencement du voyage, j ’avais senti pour nos bateliers une vive sollicitude ; leur conversion était le sujet de mes prières ; des exhortations individuelles et de pressants appels leur avaient été souvent adressés. Nos cultes du matin et ceux du soir surtout avaient toujours été sérieux. Après nos aventures chez Kakengé, ce sérieux devint encore plus intense. Un soir, c’était chez Sindé et c’était le 9 juin, nous étions campés dans un bois touffu qu’éclairaient mal les pâles rayons de la lune. Vous m’auriez vu, avec tous mes gens accroupis autour du feu central de notre bivouac. Un sentiment de grande solennité nous avait saisis. J’avais, une fois encore, adressé de sérieuses paroles à ces hommes qui, pendant six semaines, avaient partagé ma vie dans ce voyage aventureux. Je m’étais tu. Le silence avait succédé à mes paroles... Un garçon le rompit enfin : « Je suis Mosésanyané, de Lépakaé, dit-il d’une, voix tremblotante. L’an passé, j ’ai travaillé chez notre père le morouti; mon temps fini, je me suis sauvé avec un dard au coeur. Je me disais : « Bah, ça passera, ce n’est qu’une impression », et je croyais ma blessure guérie. Mais à Sapouma un nouveau dard m’a transpercé. En pensant au grand jour où même les rois, les grands, les riches, diront aux


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