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sans toi? me disait Léwanika. Nous veillerons bien à ce qu’on vienne à l’église, mais... » . C’était à un mauvais moment de la saison. L’inondation avait trop diminué pour les canots, pas assez pour les piétons; les communications étaient donc difficiles. Ce n’est pas sans peine que le roi put rassembler les cinquante bons canotiers dont nous avions besoin. Mais il y mit de la bonne volonté. Et quand tout fut prêt, le jour de mon départ, il était là, dès sept heures du matin, surveillant lui-même le chargement des canots, distribuant et organisant chaque équipage. Il m’accompagna un bout de chemin pour s’assurer que tout était bien. Puis, une chaleureuse poignée de main, et son canot faisait volte-face pour rentrer à la ville, pendant que nous nous enfoncions, nous, dans les grandes herbes et dans les roseaux pour continuer notre route. Pauvre Léwanika! trois jours de suite il nous dépêchait un coureur pour avoir de nos nouvelles et nous souhaiter un bon voyage! Nous n’étions plus habitués à tant d’égards. ; - Mokouaé, elle aussi, nous reçut avec amabilité. Elle prit à honneur de nous faire visiter son vaste établissement, sa maison, ses dépendances et ses jeunes arbres; mais, heureusement, je n’avais pas, comme elle à Léalouyi, des souliers neufs et trop petits. Elle nous chargea de provisions de route et aurait voulu nous retenir un jour au moins pour pouvoir nous offrir l’expression tangible de sa « haute considération », le boeuf traditionnel. Nous étions trop pressés ; il paîtra jusqu’a notre retour. Notre voyage a été un pique-nique de quinze jours, sans ombres et presque sans aventures. Des coups de fusil annonçaient, le 7 juillet, notre arrivée à Séchéké, et amenaient sur la rive nos amis Goy et tout ce qui était resté de la population, car tous les chefs étaient partis pour la Vallée. Quelle transformation que ce Séchéké! C’est à ne plus s’y reconnaître. D’abord c’est la baie, cette belle baie qui s’est comblée de sable et de détritus. Ce n’est plus qu’un marécage couvert d’herbes et de roseaux. La station elle-même n’a conservé aucune trace du stage que nous y avions fait. Tout ce que nous y avions construit a disparu. Mais le Séchéké d’aujourd’hui, avec son presbytère construit par Jeanmairet, son église, sa belle cloche, ses dépendances, ses clôtures de roseaux, ses palissades, son bosquet de grenadelle, et ses sentiers bien entretenus, fait une douce impression et montre ce qu’un homme de goût peut faire d’un désert aride. L’attitude des gens aussi a bien changé. C’est maintenant celle du respect, et peut-être même déjà celle de l’affection et de la confiance. S’il y avait des chrétiens à Séchéké, à côté des dignes filles de M. Keck, j ’eusse cru aspirer une bouffée d’air des Malouti. Et à Kazoungoula, où nous arrivâmes en un jour de Séchéké, quelle chaleureuse réception nous attendait! Des drapeaux flottaient pardessus les arbres, et une devise de bienvenue se déroulait sur le devant de la maison. Nos amis, eux, étaient là, sur la berge, nous attendant. Je ne sais trop comment nous débarquâmes par la trouée faite dans la muraille de roseaux, trébuchant, pataugeant et sautant sur la pirogue qui sert de pont pour passer une flaque d’eau. A peine avons-nous échangé quelques salutations, qu’un demi-cercle se forme devant nous, et un chant de bienvenue, fort bien exécuté par des voix de filles et de garçons qui s’entre-répondent, nous laisse sous les meilleures impressions. Partout tout est propret. La station est en fête. Un coup d’oeil sur ce petit jardin qui implante un air de civilisation à ce monticule sauvage, sur ces bâtiments qui se sont construits sans aide étranger, nous dit que nos amis sont des travailleurs. Ils ont travaillé. Il y a dix ans, nous traversions le fleuve pour la première fois en wagon et bivouaquions à deux pas d’ici, près d’un arbre sans ombre et sous un méchant abri de paille ouvert à tous les vents. Dix ans !... Que de choses depuis lors!... Mais pourquoi cette longue digression? Je voulais et j ’aurais dû me borner à vous dire combien nous avons été heureux de passer quelques jours ensemble. Si l’union fait la force, elle fait aussi la joie, et si, en s’étendant, notre cercle de famille ne s’affaiblit pas, nous ferons toujours à nouveau l’expérience qu’on peut être heureux, même au Zambèze, et que nous n’y sommes ni des exilés, ni des martyrs. Un sincère esprit de charité et d’estime mutuelle, aussi bien que la détermination de placer les intérêts de l’oeuvre bien au-dessus de toutes considérations personnelles, ont caractérisé nos séances et nos discussions. La présence du Seigneur s’est aussi manifestement sentie dans nos réunions de prières et dans les réunions d’appel que nous avons eues chaque soir. Rien de plus émouvant que de voir pendant une prédication sur le cri plaintif du prophète : Qui a cru à notre prédication? une vingtaine de jeunes gens et filles se lever spontanément et se déclarer pour le Seigneur. La plupart étaient de Kazoungoula et quelques autres de Séchéké et de la Vallée ; plusieurs d’entre eux avaient déjà senti le besoin de faire une profession ouverte d’avoir trouvé le Sauveur. D’autres, même parmi nos canotiers, sont sous de sérieuses impressions. Nous ne savons pas ce que le mouvement donnera. Nous tremblons même, quand le souvenir nous vient de nos déboires passés. Mais, même si le vent qui souffle soulève beaucoup de balle, quoi? n’y aurait-il pas un seul bon grain de blé? Vous savez qu’en quittant la Vallée je m’étais proposé de faire un voyage d’évangélisation au pays des ba-Toka et des ma-Choukouloumboué. M. L. Jalla avait offert de m’accompagner. Mais au cours de nos discussions, il devint évident que, tant pour préparer l’expédition du renfort que le Comité nous


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