connaissance du zoulou me fut d’un grand secours dans cette occasion et dans les occasions subséquentes. Mon interprète, qui était en même temps le bras droit du chef, avait travaillé aux mines de diamants et en avait rapporté certaines notions fâcheuses. Il ne voulait absolument pas communiquer à son chef ce que je lui disais des bienfaits de l’Evangile. « Pourquoi les ma-Tébélé nous détruisent-ils, si Dieu nous aime ? Nous ne voulons pas de ces choses-là ici, nous n’en voulons pas, » fit-il avec un geste significatif. Un peu plus loin, nous rencontrâmes six ou sept hommes, envoyés par un chef du nom de Masonda qui se disait le fils de Maliankobé, et nous pressait fort de passer chez lui, ajoutant que c’était le meilleur chemin et le plus court. Nous n’avions nulle raison de douter de sa véracité ou de refuser son invitation. Nous suivîmes donc qps nouveaux guides, leur cédant de bon coeur la hache qui était devenue lourde dans nos mains. Nous traversâmes le Singuézi, puis le Loundé, un peu plus haut que leur jonction. Mais les difficultés que nous opposaient ces rivières, où trente boeufs pouvaient à peine faire bouger une voiture dont les roues s’enfonçaient jusqu’aux moyeux, ne peuvent se comprendre que de ceux qui ont voyagé dans de semblables pays. En gravissant la berge escarpée, et au moment où nous nous croyions hors d’affaire, quatre fois la chaîne de trait fixée au timon se rompit et quatre fois la voiture recula jusque dans la rivière avec une grande violence. Nous fermions les yeux d’effroi, mais la voiture n’était ni renversée ni brisée. Nous arrivâmes chez Masonda et dételâmes à l’ombre d’un arbre colossal, dans un vallon de toute beauté. Nous aurions pu nous croire dans un parc magnifique, à droite et à gauche couvert d’une végétation tropicale; c’est un fouillis de collines, amoncellements gigantesques de blocs de granit. C’est sur le sommet apparemment inaccessible de l’une d’elles que se trouve la résidence de notre nouvel ami. Il nous reçut avec force protestations de joie et d’amitié. « Vous êtes fatigués, vous venez de loin, » dit-il, « voici un chevreau (c’était un boeuf!). Mangez et vous reposez. » Je lui rendis le compliment en lui envoyant une belle couverture de laine aux couleurs brillantes qu’il parut apprécier. Ses manières aisées, sa figure pétillante d’intelligence, nous firent une bonne impression, et il y avait, dans l’étiquette minutieuse et étudiée avec laquelle il nous abordait et se faisait aborder lui-même, quelque chose de nouveau et d’intéressant pour nous. Le soir, nous eûmes une réunion d’actions de grâces. « 0 Dieu, » disait l’un de nous, « que tu es bon, que tu es fidèle ! Tu nous as conduits par le désert, tu nous as désaltérés et nourris, tu nous as fait traverser de grandes rivières, et maintenant tu nous amènes auprès des ba-Nyaï. Nous sommes en bonne santé, nos cognées sont tranchantes, nos wagons légers, nos boeufs se sont engraissés sous le joug... Tes bienfaits sont en grand nombre; qui pourrait les compter? » Et nos coeurs répondaient à l’unisson : « Amen, oui, amen. » Comme le chef Masonda en avait exprimé le désir, nous allâmes le lendemain, avec nos dames, le visiter chez lui. Le sentier était escarpé, presque impraticable, le soleil était de feu, nous nous sentions épuisés. Nous nous annonçâmes. Le petit potentat nous fit faire antichambre là sur les rochers, au grand soleil, et si longtemps, que je m’en plaignis. On nous conduisit alors dans une grotte formée par un chaos de rochers. L’attroupement qui s’était fait à 1 entree devenait tel que nos evangelistes en conçurent du soupçon. « Nous sommes bloqués, » me souffla l’un d’eux à Toreille.^S « Bloqués ? Sortons!» Et les^ba-Nyaï nous ouvrirent un passage. Survint alors un frère de Masonda qui, dit-il, « avait mission de nous faire les honneurs de cette capitale ». Ce personnage, qui avait au plus haut degré le sentiment de son importance, était borgne, grêlé, crasseux et renfrogné; la personnification d’un démon. Il saisit M“ Coillard par le bras, tandis qu’un autre la prit par l’autre bras, sous pretexte de 1 aider à gravir la pente escarpée et glissante d’une roche, pendant que deux autres à la mine tout aussi peu rassurante conduisaient aussi ma nièce. Je suivais, moi, derrière, avec un malaise indéfinissable. Nous gravissions lentement, péniblement, quand un de nos évangélistes ne pouvant se contenir plus longtemps, me dit d’un air épouvanté : « Où conduit-on notre mère ?» Je sortais d’un rêve. Devant nous, ce rocher à pic que nous gravissions. A droite, à gauche, pas signe d’habitations; au delà... rien, un abîme! Plus prompt qu il ne le faut pour le dire, je fais un bond, saisis ma femme, l’arrache des mains de ces sauvages, pendant qu’Aaron fait de même avec ma nièce, et nous descendons. Les ba-Nyaï pris par surprise ne nous font aucune opposition et, sans plus de pourparlers, nous regagnons le campement. Un messager accourait sur nos pas pour nous dire combien contrarié était Masonda de notre départ précipité. « Je ne vous ai pas vus, » ajoutait-il, « mais j ’ai quelque chose dans mon coeur et je viendrai moi-même. » C’est ce qu’il fit. Le dimanche, au matin, des messagers vinrent de sa part me demander de la poudre. « Masonda n’aime pas la couverture de laine, il veut un paquet de poudre et une boîte de capsules. » Je leur expliquai que je n’étais pas un marchand, mais un messager de paix, et que je n’avais rien à faire avec de la poudre. Je ne gagnai rien, ils partirent mécontents. Pas une âme n’approcha de nous ce jour-là. Le soir, Masonda vint avec quelques hommes, réitérant sa demande sur un ton encore plus impératif. Je m’aperçus alors que nous étions tombés dans un piège. Pour prouver au chef mes dispositions amicales, je lui offris un autre présent. II le refusa avec dédain et alla s’asseoir en boudant près de notre feu. Pendant que nous nous retirions dans notre tente pour prendre le thé, un de nos gens vint nous dire à voix basse : « Nous sommes
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