Elle était brouillée avec moi, Sa Majesté, et pas tout à fait sans raison. Elle a l’idée que j ’ai le pouvoir de lui donner un missionnaire, et que, si elle n’en a pas, c’est de ma part mauvaise volonté et obstination. Plus d’une fois déjà, le renfort nous a fait faux bond au moment où nous croyions le posséder. Mais qu’en sait-elle, elle? Ses principaux chefs partageaient sa mauvaise humeur, et me le montraient parfois d’une manière qui n’était pas toujours très aimable. Il fallut donc lui renouveler solennellement la promesse que celte année elle ne serait pas déçue, et qu’un missionnaire irait certainement s’établir à Nalolo. Après nos expériences passées, c’était bien me compromettre ; mais quand même, la mission serait compromise et bien plus gravement, si nous ne pouvions pas dès cette année occuper Nalolo. En attendant, je suis rentré dans ses bonnes grâces et celles de ses gens, et chaque fois que nous nous rencontrions, ils ne manquaient pas de me rappeler ma parole, de discuter l’emplacement de la station, et de sè fondre en belles promesses. Vous comprenez, n’est-ce pas, chers amis? N’allez pas croire que ce soit là le cri du Macédonien, et vous imaginer que les habitants de. Nalolo, leurs chefs surtout, soupirent après l’Evangile. Non. Ce n’est qu’affaire de dignité. Léwanika a son missionnaire, un missionnaire européen, pourquoi pas Mokouaé? Bonne vache laitière, dans leur estime, qu’un missionnaire blanc!;.1. Quoi qu’il en soit, Nalolo est la deuxième capitale du royaume. C’est donc un poste de grande importance qu’il faut occuper sans plus de délai. Et malheur à nous si, par négligence ou par pauvreté, nous laissons se fermer pour nous cette porte encore ouverte ! Mokouaé a une haute idée de sa dignité. Elle est, vous savez, moréna, presque à l’égal de Léwanika lui-même. Elle a sa cour comme lui, les mêmes dignitaires ; elle s’entoure du même cérémonial, on lui rend les mêmes honneurs, et elle sait au besoin les exiger. 11 est donc assez naturel que chez ses missionnaires elle tienne à être absolument sur le même pied, voire même à occuper la même place à leur table quand cela lui plaît, sans plus de cérémonie. Malheureusement, elle est bien loin d’avoir les bonnes manières de son frère, ses habitudes de propreté scrupuleuse sur sa personne, et surtout sa grande discrétion. Je me permis donc de lui faire une fois la leçon et de lui donner des conseils paternels, qu’elle prit heureusement en bonne part et qu’elle s’est efforcée depuis lors de suivre. Mokouaé ne boude pas,'felle a cela de bon. Pendant que les amis de Séfoula étaient ici, nous l’invitâmes à venir passer la journée avec nous. Elle en était ravie. Elle fit toilette pour l’occasion et arriva que le soleil était déjà ardent. A son désir, je: la conduisis à: l’église qu’elle n’avait pas encore vue, — une merveille d’architecture pour la contrée, et un travail de charpentier très bien fait, même pour; l’Europe. Je lui expliquai de mon mieux les secrets à moi connus de la charpenterie et de la menuiserie. Nous causâmes debout longtemps et, à l’intérêt qu’elle manifestait, je supposais qu’elle prenait des notes dans sa mémoire pour ses futures constructions. De là, je la promenai dans mon petit jardin où, à sa grande joie, je lui fis présent d’une caisse de jeunes plantes d’eucalyptus. Après cela, ce fut le tour de mes huttes,' de mon mystérieux studio avec ses verres rouges, de ma chambre à coucher ou Léwanika seul a accès. En vraie dame, elle me remercia poliment, me dit què tout l’avait intéressée — « infiniment d, je suppose. Puis, la pauvre femme, que je croyais fatiguée, se laissa choir sur un siège de la véranda et, avec une grimace caractéristique, arracha brusquement ses chaussures et les jeta par terre : — Mon père, fit-elle, donne-moi de la médecine des pieds; j ’en souffre beaucoup, beaucoup ! La malheureuse! n’avait-elle pas des bottines, de vraies bottines! des bottines neuves, et si petites pour elle que je ne comprends pas par quels procédés elle ¡a pu les mettre. Et moi qui l’avais tenue près d’une heure sur ses pieds ! Quel martyre, pauvre femme ! ¥qt De la médecine des pieds ! Allons, Mokouaé, mets ces bottines de côté. Elles sont de beaucoup trop petites pour toi. — Alors, mon père me donnera ses souliers ? Je souris. ^ ^ 9 Les miens ne t’iraient pas non plus, Mokouaé. — Ah! fit-elle en jetant les yeux sur ceux de l’ami Waddell, voilà ce qu’il me faut. — Je n’en ai pas d’autres, moréna, ni le morouti non plus, répondit Waddell timidement. — Et vous voudriez que la moréna Mokouaé allât nu-pieds? Il le fallut bien, en définitive, puisqu’il n’y a pas encore de cordonnier ni à Léalouyi, ni à Nalolo. Ce petit incident nous a beaucoup divertis. Mes amis auraient presque été jusqu’à m’accuser d’un petit grain de méchanceté ; ce contre quoi je proteste. Somme toute, le séjour de Mokouaé nous a fait plaisir. Je l’ai vue souvent, et chez elle, et chez moi. Sauf indisposition, elle non plus ne manquait pas un seul; de nos services. Chez elle .même, j ’ai eu de bonnes réunions; sa grande cour était toujours bondée,.; Elle est intelligente, Mokouaé, susceptible de bonnes influences — comme aussi, hélas! de mauvaises, nous le savons bien. J’ai été étonné; de voir comme elle comprenait les .prédications et combien elle s’intéressait à l’école; Je me réjouis donc bien sincèrement à la pensée que cette année, enfin, elle aura un missionnaire près ¿elle. Il en est grand temps. Je m’en réjouis-?
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