pleurer. Il a même été sur le point de renvoyer toutes ses femmes et de « balayer son harem », comme il dit; mais il s’est heurté à une institution sociale et politique qui a soulevé l’opposition de tous les chefs, et il a reculé. Il n’hésite pas à déplorer ses torts envers nous, il les reconnaît ; il estime ceux qui ont le courage de lui dire la vérité. Et avec tout cela il n’a pas encore le sentiment du péché. Sa conscience n’est pas réveillée. Il admet ses crimes et ses fautes, mais il les explique et les excuse en partie; il n’a pas encore appris à en gémir devant Dieu. Et puis, que je le dise aussi : il a toujours devant lui le spectre de la révolution de 1884 qui l’a chassé en exil. Comment se convertir tout seul? Si seulement il pouvait compter sur un seul de ses chefs, un seul des officiers de sa maison, une seule de.ses femmes! Cet homme n’est pas heureux; il vous gagne le coeur et fait pitié. Vous auriez dû voir avec quel empressement, je dirais quelle joie, il a fait ce qu’il a pu pour populariser des réunions du soir que je tenais dans sa cour, au commencement de l’inondation. Ses femmes, leurs servantes, des femmes du village, ses serviteurs et ses esclaves, et même d’autres hommes, qui d’habitude n’ont pas l’entréë libre, étaient là; presque toujours la cour était pleine. Et, au milieu, sur sa natte royale dont le vulgaire n’approche pas, accroupi autour de ma lanterne, il pressait les jeunes gens qui savent chanter de s’y accroupir aussi; ses enfants et des esclaves comme Nyondo, sans distinction. C’étaient, ostensiblement, des réunions de chant ; mais il y avait toujours un message d’autant plus direct qu’il était plus familier. Et avec tout cela, il y a chez lui de ces revers, de ces contradictions, de ces retours même, que je comprends, mais qui m’affligent. Pauvre Léwanika ! Qu’il est donc difficile à un homme riche d’entrer dans le royaume de Dieu! C’est donc possible, comme le jeune homme riche, d’être si près du Sauveur sans le connaître, et si près du salut sans le posséder I L’évangélisation à domicile, « de maison en maison », m’a souvent encouragé. J’ai pu m’y convaincre que la prédication de l’Evangile est quelquefois comprise là où je ne m’y attendais guère. Mais elle m’initie aussi à bien des ténèbres et des misères morales. Voilà une jeune femme qui, en me voyant passer, s’empresse de ramasser un charbon ; elle le brise en deux, m’en donne la moitié et me prie de le lui lancer sur le corps. Pauvre créature ! elle est enceinte, et, en voyant ma figure pâle, qu’elle n’admire pas, et mon habit blanc, elle a peur de mettre au monde un monstre qui me ressemble 1 C’est flatteur, eh ! En voici une autre, couchée sur une natte, dans sa cour. Elle est malade. Tout près d’elle, dans un coin, je remarque, sur un tas de sable de rivière où végètent deux jeunes plantes de maïs, un petit autel fait de roseaux. C’est là que, tous les matins, au lever du soleil, elle offre à Nyambé, le dieu suprême, l’oblation d’un vase d’eau, espérant se le rendre propice et en obtenir la guérison. Comment ne pas se sentir ému en présence de ces tâtonnements dans les ténèbres ! Voilà la prison, les prisonniers plutôt, qui font, eux aussi, des travaux de terrassement. Us ne sont pas nombreux, cinq ou six en tout, C’est même trop. Leur geôlier, homme de sac et de corde, doit les nourrir comme il peut, c est-à-dire les affamer. Et, pour les empêcher de se sauver, il se vante de les attacher de nuit à un poteau et de les bâillonner. Chacun de ces misérables a son histoire. Les hommes sont des voleurs incorrigibles, ils n’ont que ce qu’ils méritent. Autrefois on les aurait mis à mort. Parmi les femmes, en voici une qui m’intéresse. Elle est jeune, gaie, intelligente. Elle me conte son his- loire. Un homme d’un caractère remarquablement doux, et que j ’aime beaucoup, l’avait épousée. Un jour la soeur du roi, Katoka, qui venait de se défaire de je ne sais quel numéro de la liste de ses maris, jeta les yeux sur l’homme dont je parle et le prit. Il dut abandonner sa jeune femme, ce qui ne fait pas un pli ici. Malheureusement, peu après, ne trouve-t-on pas dans la maison de la princesse une souris, — une souris morte ! Grand émoi dans l’établissement. On crie au sortilège. Les osselets ne manquent pas de désigner la jeune femme, et on la jette en prison. Il y a quelques années on l’eût brûlée vive. Ah ! mes amis, le paganisme est odieux et cruel. Après vous avoir parlé de Léwanika, que je vous dise un mot aussi de la reine Mokouaé, qui vient de nous visiter. Elle était attendue depuis longtemps. Son arrivée fit événement dans notre petit monde et fut l’occasion, comme d ordinaire, de grandes démonstrations. Son ombrelle tricolore, son éclatante toilette européenne, et celle des femmes du roi, à l’européenne aussi, faisaient un contraste frappant avec la graisse et l’ocre de la multitude des autres femmes. Il faut y voir, je suppose, un progrès de civilisation, et c’est pour cela que je le mentionne. Elle fit un séjour de six semaines. Le roi lui témoigna la plus grande déférence. Bien qu’elle ne siégeât pas au khothla comme à Nalolo, toutes les affaires qui s’y traitaient lui étaient soumises comme de droit. Elle s’occupa aussi de certains troubles du sérail de son frère. Ce n’est pas ce qu’elle fit de mieux, car Mokouaé, qui n’a pas plus d’aménité qu’il ne huit, tranche souvent dans le vif, surtout quand il est question d’autres lemmes. Elle se croit chargée, comme Katoka, de l’éducation de celles du roi Et tout cela avec un mélange de bonté qui la rend remarquablement maternelle avec les enfants de sang royal. Je l’ai vue, par un soleil ardent, malgré son gênant embonpoint, rassembler les femmes et les filles du harem couvertes des ornements les plus fantastiques, leur enseigner, tout un jour durant, des da'nses et des chants du vieux temps, maintenant oubliés et d’un qoût douteux, pour dire le moins.
27f 90-2
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