d’hommes et, sans écouter les protestations de ses conseillers, il se mit à son tour en campagne. Son but était de défendre les gués du Ndjoko, du Loumbé et du Rouyi par des travaux stratégiques, des redoutes avec meurtrières, dont à son retour il me fit une miniature sur le bord du canal. Où avait-il pris cette idée? Je n’en sais rien. Pour la mettre à exécution, il divisa son armée en trois corps. Les travaux finis, le manque de vivres et l’absence de rumeurs nouvelles le firent rentrer chez lui. Ce ne fut pas pour longtemps que nous jouîmes de ce calme relatif. Khama manda à Léwanika que la guerre était imminente entre les blancs et les ma-Tébélé, et lui conseillait de garder les gués du Zambèze. 11 ne pouvait pas y avoir de doute quant à l’issue de cette guerre, et on savait que le plan de Lobengoula était d’envahir le pays des ba-Rotsi. Donc le danger était grand et tout le monde le savait. Les tambours de guerre recommencèrent leurs hurlements, et, de nouveau, la panique saisissait tout le monde. Les hommes firent un simulacre de pitso où chacun se vanta à qui mieux mieux, on brûla inutilement beaucoup de poudre, on s’enivra de tapage et, chamarrés de plumes et de peaux de fauves, ces hommes s’imaginaient vraiment être parvenus à ressembler à des bêtes féroces et à posséder leur courage. L’excitation épuisée, on se mit une fois encore en campagne. Léwanika restait, mais comme son fils Litia partait avec tous les grands chefs, on pouvait croire que c’était du sérieux cette fois. Du reste, tous les dieux du pays avaient été consultés ; tous avaient donné leur assentiment, et les javelines qu’on avait déposées sur leur tombeaux étaient portées solennellement en tête de l’armée comme symboles de leurs faveurs. Je refusai d’assister à leur dernier rassemblement; mais les chefs vinrent tous en partant me saluer. Je leur recommandai surtout de s’abstenir de pillage, car en l’absence de commissariat, c’est de brigandage qu’une armée pareille subsiste. La coutume veut qu’une expédition une fois en route n’envoie de messages directs au roi que quand elle est arrivée à destination et a rempli sa mission. Il ne sait donc de ses mouvements que ce que la rumeur et les passants lui en apportent. Nous la croyions au pays des ba-Toka bien loin, quand un messager vint mystérieusement annoncer son retour. En effet, dès le lendemain, nous vîmes la longue file indienne se dérouler et serpenter silencieusement dans la plaine, puis rentrer à la capitale. Qu’é- tait-il donc arrivé? Vous vous perdriez en conjectures. Voici: on avait vu toutes sortes de mettolos, c’est-à-dire des choses extraordinaires et inexplicables : ici on a trouvé un lapin mort, là une tortue de terre, plus loin un serpent... Il n’en fallait pas davantage. Les braves qui ne pouvaient pas se sauver de nuit, prétextaient une maladie quelconque... et la débandade se mit dans l’armée. Les chefs seuls, retenus, je crois, par Litia, essayèrent de résister à la contagion de la peur quand, une nuit, éclata un violent orage : la foudre tomba sur un abri où se trouvaient quarante hommes qui tous « moururent! trente-huit revinrent à la vie, mais deux restèrent morts ». Cette fois, ce fut fini : plus de doute, les dieux maudissaient l’expédition, et tous les chefs, d’un commun accord, levèrent le camp pour rentrer définitivement à leurs foyers Tant pis pour la patrie, si elle est en danger I - Et ce qu’il y a de plus triste, c est qu il ne se trouva pas une seule voix pour désapprouver — au contraire. Léwanika seul fit exception; mais lui-même était-il sérieux?... Et si les ma-Tébélé avaient en effet envahi la contrée, que fût-il advenu de ce peuple et de nous? Mais Dieu règne I il est plein de miséricorde. Malgré toute la dépravation de nos pauvres et chers ba-Rotsi, l’heure du jugement n’a pas encore sonné pour eux. C’est encore le temps de la grâce, — et nous l’en bénissons 1 Vous vous demandez naturellement ce que devient l’oeuvre au milieu de tous ces travaux et de toutes ces commotions ? Ah ! que je voudrais pouvoir réjouir vos coeurs et vous dire que nous n’en sommes plus au temps du défrichement ! Il y aura longtemps à défricher au bo-Rotsi ! Mais il n’y a pas lieu de se décourager. Ne fautr-il pas que le laboureur travaille premièrement et qu’il laboure avec espérance? (2 Tim., II, 6; 2 Cor., IX, 10.) Qui sait? Plus les semailles seront longues et laborieuses, plus riche aussi sera la moisson « Ne nous relâchons donc point en faisant le bien, car nous moissonnerons dans la propre saison si nous ne nous lassons point. » Nos services, assez bien suivis, ont souvent eu un caractère de solennité Ce qui m’afflige et me ferait désespérer, n’était la puissance de la grâce de Dieu, c’est l'incorrigible légèreté de nos ba-Rotsi. Quand nous croyons qu’une impression séneuse et profonde s’est produite, et que nous la guettons pleins d espoir, nous découvrons, hélas ! qu’elle s’est <r évaporée comme la rosée du matin ». Elle était tracée sur le sable du désert : le vent a soufflé, elle a disparu. Rien de plus navrant que le contraste entre cet auditoire, que je crois captivé par la prédication de la Parole de Dieu, et les ricanements bruyants et moqueurs des groupes qui se forment après le service. On ne dirait pas les mêmes personnes. Et ne croyez pas que je ne parle que de la jeunesse qui, par tout pays, est taxée de légèreté, mais bien d’hommes et de femmes que leur position et leur âge devraient rendre rassis. C’est le tour de Satan de faire son oeuvre ; il enlève la bonne semence et ü sème l’ivraie. J’ai bien essayé d’une espèce d’école du dimanche à cette heure-Jà, mais sans beaucoup de succès. j Léwanika lui-même tergiverse toujours. C’est un esprit convaincu, mais il n’a pas le courage de briser avec les coutumes qu’il méprise. 11 aime les choses de Dieu, il ne manque jamais un seul service, à moins d’indisposition; telle prédication, tel cantique l’ont, de son aveu, remué presque à le faire
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