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amical. 11 vient assez souvent passer une après-midi avec moi; il s’intéresse à nos travaux, encourage nos ouvriers et se plaint de ce que je ne le visite pas plus souvent. Quelquefois, si je passe sur la place, il quitte le lékhothla et m’invite chez lui. Il se montre pleins d’égards de mille et une manières, et a traité nos visiteurs de Séfoula avec la plus grande déférence et cordialité. Et cependant, je crains que, malgré toutes ces professions d’amitié, il ne nous soit clandestinement hostile. C’est un mo-Rotsi pur sang. Je remarque que tout le personnel de sa maison se tient à distance. Et généralement, ici, les courtisans flattent ceux que leur maître honore de ses faveurs. De nos anciens élèves, peu fréquentent les cultes. Séajika est encore ce qu’il a toujours été : un triste caméléon. Mokamba, celui qui sanglotait publiquement, a reçu femme, a été promu; en devenant un des grands chefs du pays, il a cru découvrir que sa profession n’était plus de mise et était incompatible avec les pratiques païennes qu’il n’a - pas le courage d’affronter. Litia est retourné franchement au paganisme et a pris une seconde femme. André, lui, mon pauvre garçon, a décidément fait naufrage. Grâce à un voyage qu’il vient de faire à Mangouato et à la faiblesse même de Léwanika, la perspective de devenir le premier gendre du roi lui a, pour le moment, échappé. Il a pris femme, à la païenne et en dehors de nous, et ne met plus les pieds ici. Il jouit des faveurs du roi : c’est son malheur. De ceux qui nous restent, je n’ose rien dire ; nous nous attendons à d’autres défections. C’est une débâcle lamentable. Ainsi donc, le vent qui soufflait l’an passé n’aurait-il soulevé que de la balle? C’est en tremblant que nous étreignons encore l’espoir de conserver deux ou trois grains de blé. « Tout cela est bien triste, remarquait Léwanika, l’autre jour, en prenant un air confidentiel et sympathique. Nous allons passer pour des enfants, des idiots et des gens méprisables aux yeux des nations. J’y suis bien pour quelque chose, en effet, puisque c’est moi' qui ai donné des femmes à ces jeunes gens-là. Mais qui peut leur commander de devenir de vrais croyants, et leur défendre d’abandonner leur foi? Mais, ajouta-t-il en me serrant la main, ne cède pas à la tristesse, mon père, ils reviendront! ce sont tes enfants. Et il en viendra d’autres qui seront la sorte de croyants que tu cherches. » Lui-même, le pauvre homme, il a fait de grands pas rétrogrades. Il connaît la vérité, il a même une inclination vers les choses de Dieu qui l’attirent évidemment. Mais le venin de l’incrédulité empoisonne ses meilleures dispositions, et, comme il le dit lui-même, les liens dont il est garrotté le rendent impuissant. Il avait acheté des robes pour toutes ses « reines », des manteaux et chapeaux à la mode pour les principales, en vue du dimanche. Les pauvres femmes s’en sont affublées pour me les montrer; mais, aujourd’hui, pour elles, venir au service serait une infraction inouïe à la dignité du harem royal. Je ne suis pas plus vaillant qu’il ne faut. Il est de ces heures connues de Dieu ou dans le morne silence qui s’est fait autour de moi, je passe en revue nos neuf années de ministère au Zambèze. Je vois ces labeurs, je sens ces armes brûlantes encore, et un horrible serrement de coeur me saisit. La lamentation du prophète me vient alors involontairement sur les lèvres : t J’ai dit : j ’ai travaillé en vain, j ’ai usé ma force pour néant et sans fruit. » Si mes confidences vous affligent, mes amis, dites-vous que pour nous la réalité est cruelle; elle nous, brave sans honte, elle nous poursuit, s’acharne à nous comme un vampire; nen ne nous la fait oublier, pas même le sommeil Ali' je les comprends, ces douleurs de saint Paul, qu’il comparait à celles de 1 enlantement. Mais, voyons, allons-nous douter de la mission que Dieu nous a confiée ? Douterons-nous que l’Evangile soit encore, et pour les Zambéziens comme pour tous les peuples de la terre, la puissance de Dieu ? Arrière de nous cette pensée ! — Malgré tous nos désastres, j ’ai, pour ma part, la conviction profonde que nous avons déjà planté le coin de l’Évangile dans le système social de cette nation, et j ’ai mes raisons pour le croire. A d’autres de l’enfoncer hardiment à coups redoublés. Et ce paganisme, si puissant, si compact, si formidable qu il paraisse, cédera, éclatera comme il l’a fait en tous temps et en tous pays. Il y a déjà plus d’une fissure qui nous le dit. Ne perdons donc pas courage, amis de notre oeuvre. L’enfant prodigue peut aller loin et tomber bien bas; mais son retour à la maison paternelle est encore possible Les expériences dures et humiliantes, quelles qu’elles soient, ne nous sont pas particulières. Notre adorable Maître les a faites; saint Paul les a connues, et puis tous ces braves que Dieu a envoyés comme pionniers dans tous les siècles. Seulement, quand nous admirons un arbre chargé de fruits mûrs et succulents, nous oublions combien de fleurs ont péri. Nos ‘expériences pâlissent à côté de celles d’autres héros missionnaires. Nous n avons pas encore été jugés dignes, nous, de la couronne du martyre Néanmoins nous avons souffert. L’existence même de la mission n’a tenu qu’à un fil. Mais ce fil était dans la main de Dieu... Courage donc, chers amis. Les revers les plus humiliants précèdent souvent de glorieux succès. La bataille peut nous paraître au-dessus de nos forces- gardons-nous cependant de poser les armes. La victoire, pour être retardée’ nen est pas moins certaine. Ne la connaissons-nous pas, la voix qui domine le tumulte du combat et nous crie : <t Prenez courage, j ’ai vaincu le monde ! » Fortifions donc nos mains tremblantes,/affermissons nos genoux chancelants! Soyons hommes! (i Cor, XVI, i 3.) Si le sol cède sous nos pieds comme le sable mouvant, cramponnons-nous aux promesses immuables de Dieu. Que notre foi, grandissant avec les difficultés, s’élève, plane toujours


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