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sont-ils très fiers. Toutes proportions gardées et dans le genre des huttes, j ’avoue que c’est quelque chose de grandiose et d’imposant. Je doute qu’on pût trouver, parmi les tribus du sud, quelque chose qui en approche. C’est toujours le vieux plan que les ma-Kololo avaient copié des bé-Tchouana, mais grandement élaboré et perfectionné : deux murs concentriques, couverts d’un seul et immense toit. Tout — toujours au point de vue indigène — est d’un fini admirable. Ces ba-Rotsi m’étonnent ; ils sont certainement, de tous les noirs que j ’ai connus, les plus industrieux. Avec quelques outils seulement, et des plus primitifs, ils font tout ce dont ils ont besoin. Les forgerons forment un clan à part. Non seulement ils fabriqueRt toutes les armes du pays, les pioches, les cure-nez, etc., mais donnez-leur un modèle, et ils vous feront des clous de la dimension voulue, des haches, des bêches, etc. Ce ne sera pas de l’acier, mais une bonne imitation. Il y a des armuriers, — en très petit nombre, je dois le dire ; — ils ne peuvent pas faire le canon d’un fusil, sans doute, mais ils en font la crosse et vous le montent avec autant de fini qu’un Européen. Seulement, pour eux, le temps n’a pas de valeur. Ceux qui travaillent le bois et la vannerie sont plus nombreux, et vous avez, au musée de la Maison des missions, des échantillons de leur talent et de leur goût. Léwanika aime le travail. A l’ombre d’un bosquet touffu qui lui servait de sanctuaire dans ses pratiques païennes, il s’est fait un atelier dont l’entrée est interdite à qui n’est pas du métier. Vous le trouverez là, dans ses heures de loisir, travaillant de ses mains avec une dizaine d’ouvriers sous ses ordres. Que fait-il là? Ou plutôt, que ne fait-il pas? Tantôt, c’est un petit canot de fantaisie, la charpente démontable d’une immense tente qui doit lui servir dans ses chasses annuelles, un lit de camp ingénieux, un véhicule de son invention destiné à transporter les canots des blancs aux chutes du Ngonyé, et lui rapporter beaucoup d’argent! Tantôt, c’est un instrument de musique, un harmonium qu’il fabrique, ou bien c’est un plat, sur le couvert duquel il se plaît à sculpter quelque animal sauvage, des poissons, des oiseaux, ou bien encore c’est un bracelet d’ivoire, une épingle à cheveux qu’il cisèle avec délicatesse. Tous les ans, il conçoit un nouveau plan pour sa barque royale. La Nali- kouanda de l’an passé est une monstruosité de l\o mètres de long, où il a essayé de mettre à profit les données vagues qu’il a glanées ici et là sur la manière dont les blancs construisent leurs bateaux. Ce n’est pas un succès. On éprouve un sentiment de regret en voyant tant de travail perdu au service de si nobles ambitions. La barque qu’il a faite pour la reine, sa soeur, est moins prétentieuse ; elle s’en tient aux traditions du pays ; aussi est-ce un petit chef-d’oeuvre dans son genre. Pauvre Léwanika! il devance son temps; il laisse son peuple loin derrière lui. Il me tourmente sans cesse pour que j installe ma scierie ici. Il y passerait la moitié de son temps, et il ferait en sorte quelle travaillât pour lui tout d’abord. A quoi bon une scierie à Sétoula, une forge et un si bel outillage? Ce n’est pas Moréneng, la résidence du roi. Qu il serait heureux s’il avait un Mackay auprès de lui!... On comprend quil forme de bons ouvriers; malheureusement, ces bons ouvriers et tout leur talent ne sont que pour lui exclusivement. Pour nous, blancs, qu’ils ne placent pas encore très haut sur leur échelle sociale, ils travaillent mal et sans conscience; ce n’est pas une obligation. Pour eux-mêmes, ils ne travaillent pas du tout; ce n’est pas une nécessité au surplus, c est un besoin qui leur est interdit. Laissez-moi vous en donner un exemple en passant. Un ouvrier habile, qui s’est formé sous M. Waddell, un brave et honnête homme — il avait bien décimé un troupeau de chèvres que nous avions jadis, mais honnête quand même, d’après les notions du pays, — avait conçu lidée de se construire une toute petite case comme les nôtres. Les pieux étaient déjà plantés, la charpente était faite, mais, quand il voulut la poser es ba-Rotsi, qui 1 avaient guetté, tombèrent sur lui, arrachèrent les pieux’ détruisirent la charpente et ne lui laissèrent que le privilège de se prosterner’ d acclamer et de rendre l’hommage royal, de ce qu’ils lui avaient sauvé là vie et épargné la gorge... Comment espérer le progrès avec un système pareil? Mais, soyez-en sûrs, le système s’usera, et le développement de ce peuple industrieux prendra un jour de l’essor. 2 janvier 1893. Mes huttes — j ’en ai sifc/ — m’ont causé du tracas. Je m’en tire assez bien avec les hommes; mais faire travailler les femmes toute une journée ça me dépasse : je crois, malheureusement, qu’elles le savent. Il faut pourtant les employer, puisque lé crépissage est exclusivement de leur ressort. Heureusement que la femme de l’évangéliste Jacob est là. Je lui abandonne ce département. Elle est femme, elle est une indigène, elle est de bonne composition et elle s’en tire à merveille. C’est vous dire que, dans ces évangélistes ba-Souto, j ai trouvé des aides précieux. Paul ne m’est que prêté. Sa place est à Séfoula. Si l’affection personnelle était la seule considération dans le placement des ouvriers, .1 resterait toujours avec moi. J’aime sa droiture j admire son courage et sa fidélité, je me sens attiré par sa vie intérieure’ rare chez un indigène, qui fait sa force. J’ai dit que l’école n’est pas soà tort, et c est vrai. Mais, comme évangéliste, je n’ai pas encore trouvé son


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