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Tous les jours, le soleil est de feu. L’après-midi, le ciel se couvre bien de nuages; mais il se lève généralement un grand vent qui les balaie et les emporte, et nous couvre de poussière. Cette poussière, rien n’y échappe, surtout dans une tente. Quelle salaison pour le repas du soir ! C’est ce que je me disais une fois, quand m’arrive du roi un message qui m’inquiète un peu : « Sache, dit-il, que depuis trois jours, les ma-Mbounda, les initiés, les maîtres de l’art occulte, consultent les osselets. Ce matin, les premiers chefs, Gambella en tête, sont venus me communiquer l’oracle. Eh bien, c’est moi, moi-même que les osselets ont saisi et désigné. Ils m’accusaient d’avoir amené sur la nation le fléau de la petite vérole et d’empêcher la pluie de tomber. Si je sévis, ne t’en étonne pas. » Dès le matin, accompagné de Paul et de Jacob, je me rendis auprès du roi. Je le trouve au lèkhothla et m’assieds près de lui. Il nomme de nouveaux chefs pour remplacer ceux que la petite vérole a fauchés — et ils sont nombreux ! En temps ordinaire, la cérémonie ne manquerait pas d’intérêt, mais Léwanika est soucieux et ennuyé. Il a des absences, et jette de côté des regards furtifs. Dès qu’il le peut, il se lève, et me prie de l’accompagner. Mais dans le grand hangar rectangulaire du lèkhothla, il se fait un tintamarre inaccoutumé. « Ce sont encore eux! » me dit le roi en partant. Je veux voir ce qui se passe là, et me fraie un chemin à travers la foule compacte qui entoure la hutte. A l’intérieur, six ou sept vieillards ma- Mbounda, accroupis sur des fourrures, secouent convulsivement des paniers remplis de toutes sortes de choses imaginables : esquilles humaines, osselets de je ne sais quels étranges animaux, arêtes de poissons, écailles, coquillages rares, graines étranges, crins de fauves, charmes indescriptibles et à l’infini, rien n’y manque. Ces sages sont absorbés dans l’étude profonde de chaque combinaison et marmottent des formules cabalistiques, pendant que tout autour d’eux, rangés en cercle, leurs acolytes font une affreuse cacophonie avec leurs crécelles de gourdes et de fruits de baobabs, leurs harmonicas de bois, leurs clochettes et leurs tams-tams. Le public, lui, est pressé comme des harengs, cou tendu, bouche béante, et les yeux fixes. l}t tout cela, par les ordres des principaux chefs, en plein lèkhothla, sous les yeux même du roi qu’on accuse ainsi publiquement des malheurs de la nation ! Je regardais cette scène étrange et m’absorbais dans de sombres réflexions, quand un nouveau messager vint m’appeler. Léwanika, en proie à une grande agitation, donnait des ordres à un de ses familiers. Peu après, un grand lumulte"de voix, confuses s’élève sur la place publique. L’homme du roi avait rassemblé la foule, donné son message et terminé en s’écriant : « Saisissezr les ! y> Des centaines de voix répondent plus fort les unes que les autres : Saisissez-les ! saisissez-les ! Tous se ruent sur les infortunés ma-Mbounda et se disputent le plaisir de les étrangler. Déjà on les a saisis, qui par les jambes, qui par les bras, qui encore par le cou; c’est une confusion affreuse, quand arrive un deuxième messager qui ordonne la délivrance des malheureux et leur recommande pour l’avenir un peu plus de respect pour la majesté royale L effervescence des esprits se calma; les ma-Mbounda avaient déjà profité d un moment de confusion pour s’esquiver. Autrefois, il n’y a pas ongtemps de cela, ils eussent été impitoyablement mis à mort. Léwanika a tait acte d’autorité, c’est bien ; mais je me demande avec inquiétude s’il a vraiment conjuré le péril qui le menace et sur lequel il ne se fait certainement pas illusion. Dieu le veüille ! 7 décembre. Léwanika m’a fait mander pour assister à une grande cérémonie. Il s’aqis- sait, comme nous dirions en langage européen, de décorer les guerriers qui se sont distingués dans la dernière campagne de Loubalé, c’est-à-dire ceux qui avaient, n’importe comment, tué un ou plusieurs de leurs ennemis Ils étaient quelques centaines, et, parmi eux, je remarquais de tout jeunes garçons qui n’étaient pas les moins fiers. Ils étaient tous en rangs, les visages peints de terre blanche : un cercle, deux cercles ou plus autour des yeux selon le nombre de leurs victimes respectives, ce qui leur donnait une appa- rence horrible et sauvage. Devant le roi et ses conseillers étaient de petits tas d étoffes de toutes espèces, où chacun venait à son tour se servir selon e nombre de ses marques. Il passait ensuite l’étoffe autour de son cou la laissant flotter derrière, ce qui donnait un peu de couleur à celte cérémonie autrement bien terne. Pas le moindre applaudissement, pas la moindre manil iestaüon. C est chose si commune, ici, que de répandre le sang ! Quelle différence avec certains püso des ba-Souto que j ’ai vus !... Cependant ces pauvres Zambéziens traînaient ces morceaux de calicot et d’indienne’avec e même orgueil que nos soldats portent la croix de métal et le ruban rouge. 11 y a peu de différence, au fond. Nos huttes en construction avancent lentement : seize pieux bien comptés plantés en rond, du roseau dans les interstices, voilà les murs. Un toit dé vannerie grossière en forme d’entonnoir renversé, posé dessus, quelgues gerbes d herbe fine qui le couvrent tant mal que bien, un triple crépissage de terre et de bouse de vache, et la maison est faite. Seulement, il se passe du temps avant qu’elle soit sèche et habitable. Sortant de la tente la hutte sera un petit palais de solidité, d’abri et de fraîcheur. Un palais ! jé le crois ien, mais rien à comparer à ceux que, depuis quatre mois, l’on construit au harem royal. Cela mérite d’être vu. Aussi, Léwanika et les ba-Rotsi en


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