Malheureusement, M. et Mme Jalla eurent tous les deux de forts accès de fièvre. Être malade ici, malade sous une tente embrasée, ce n’est pas gai. Nos amis durent donc écourter leur visite et regagner Séfoula. Mais depuis lors, les messagers se croisent constamment entre ici et là-bas. Plus tard, qui sait? nous aurons un téléphone... Pourquoi pas? L’Afrique est le pays des surprises, et elle passe par une période de stupéfiantes transformations. C’est une heure solennelle, quand nous pensons à l’avenir des races africaines et à la léthargie des Eglises de France. Lundi, ai novembre 1892. Hier, auditoire peu nombreux, malgré nos visites à domicile, et toutes les promesses qu’on nous avait faites. Les gens n’osent pas encore venir, pas même les hommes qui ne sont ni chefs, ni serviteurs personnels du roi, —r" likomboa. L’Évangile, — le thouto, comme on dit, c’est la chose exclusive du roi, — un fruit défendu pour le peuple. Lui, le roi, est venu sans son insupportable bande de musique. Il a fait une démonstration d’un autre genre. Gomme il a cinq ou six chevaux, il les a tous mis en réquisition pour lui et ses jeunes gens. Dix minutes de marche, c’est trop pour la lourde dignité qu’il porte, et il a eu soin de me le dire. Je ne discute plus la question avec lui. Je lui ai demandé à plusieurs reprises, au cas où ces dix minutes seraient de trop pour eux, de me montrer n’importe où le site que la station puisse occuper ; et, comme il confirme ce que nous savons tous, qu’il n’y en a pas d’autre, que c’est ici et seulement ici que nous pouvons bâtir, nous bâtissons. La prédication a été suivie d’une réunion familière, où l’ami Paul a catéchisé l’auditoire avec une autorité surprenante. Pour donner l’exemple, le roi répondait avec beaucoup d’entrain et d’intelligence. Nous chantâmes beaucoup, mais soit dit en passant, je ne parviens pas encore à populariser nos chants. Les Zambéziens chantent comme des oies. En particulier, Léwânika remarqua qu’aucun cantique n’éclipse son favori : Litaba tsë gou imèlang1 ! « Mais, lui dit respectueusement Paul, je ne comprends pas pourquoi le roi aime tant ce cantique, puisqu’il ne connaît pas Jésus. » Léwanika, un peu embarrassé par cette question si directe, répondit : « Tu veux dire que je ne suis pas croyant? C’est vrai. Mais tout de même, c’est bon de savoir qu’il y a quelqu’un sur qui on peut se décharger de tout ce qui vous préoccupe et afflige. Être l’ami du roi, — le motsuallé oa moréna, — cé n’est pas peu de chose. » 2. « Les soucis, tout ce qui l’écrase. » C’est le n° 72 de la deuxième partie de notre recueil. A la nuit tombante, je reçois la poste. Entre autres, tout un paquet de vieilles lettre^ des premiers mois de 1891, dont quelques-unes ont été découvertes par un arm dans quelque coin ignoré du bureau de poste de Palapchoué, tandis que d’autres revenaient d’un long voyage et d’une quarantaine plus longue encore à Salisbury, la capitale du Machonaland. Qui sait combien d autres lettres et imprimés se sont ainsi égarés et définitivement perdus ! Vous le voyez, notre service postal laisse encore à désirer, et nous en souffrons. Ainsi donc, mes amis, ne vous découragez pas. Souvenez-vous que vos lettres sont un des plus grands bienfaits qui nous soient accordés dans ce pays ou, toujours appelés à donner sans rien recevoir, nous nous vidons et nous épuisons. Votre correspondance nous tient lieu de tout le mouvement intellectuel et religieux dont nous sommes sevrés. Si vous saviez combien ils sont doux les moments que nous passons ainsi avec vous! Nous oublions nos petites misères, et même les grandes nous paraissent moins dures. Notre solitude et nos ténèbres s’éclairent d’un jet de lumière quand nous voyons que le soled brille chez vous. En parlant ainsi, je pense plus à mes chers collègues qu’à moi-même. Ils ont leur carrière devant eux, une tâche ardue et ingrate, croyez-le. Ils ont donc besoin d’être puissamment soutenus par tous les moyens possibles. Et la correspondance, souvenez-vous en, en est un des plus puissants.
27f 90-2
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