Page 270

27f 90-2

en révolution. Je ne suis plus maître chez moi. Pas moyen de garder une chandelle allumée. Il faut avaler son souper avec les plus grandes précautions, comme si on le volait, puis souffler la chandelle, et choisir entre l’alternative d’aller se coucher, ou bien de philosopher sur sa chaise, ou encore de s’asseoir avec les garçons au feu du bivouac. Toutes choses très belles en soi, si elles n’étaient pas obligatoires. Par un beau clair de lune, ou même quand les ténèbres d’une nuit sans étoiles vous invitent au recueillement, on voudrait bien arpenter le campement de long en large et se livrer à ses pensées, mais cela est impossible. Car il est un autre petit ennemi bien autrement redoutable que tous ceux auxquels je viens de faire allusion, et dont la présence me donne du souci. Ce sont les fourmis guerrières, la terreur des hommes et des bêtes, et dont voyageurs et chasseurs, et tout le monde, racontent les histoires les plus incroyables. Notre petit mamelon, comme toutes les verrues qui parsèment la plaine, n’est autre chose qu’une termitière que ces batailleurs invincibles disputent à leurs maîtres légitimes, et dont ils font leur forteresse et leur refuge au temps de l’inondation. On en a à peine aperçu les premiers éclaireurs, que le gros de l’àrmée a déjà fait invasion. Pour elles, la distance n’est rien ; elles vont loin chercher leur proie.. Elles ont l’odorat, — ou la vue, puisque les savants discutent encore lequel des deux sens, — plus fin que celui des vautours. On les voit affairées, en bataillons innombrables, serrés, disciplinés, serpenter comme un immense ruban noir, moiré et vivant, de plusieurs centimètres de large. D’où viennent-elles? Où vont-elles? Rien ne les arrête. Un objet quelconque in- tercepte-Wl la route ? S’il est inanimé, elles le contournent et passent outre ; s’il est vivant, elles l’assaillent à J’envi, le couvrent, s’amoncellent les unes par-dessus les autres, pendant que les armées poursuivent leur marche affairée et silencieuse. Est-ce une rigole? un filet d’eaii? Aussitôt se forme au bord une masse compacte. Est-ce une assemblée délibérante? Probablement, car bientôt la masse grouille et s’ébranle, franchit la rigole ou le filet d’eau et continue au pas de course sa marche incessante et mystérieuse. Une multitude de ces soldats se sont ou ont été sacrifiés pour la chose publique, et ces légions, qui ne savent que vaincre ou mourir, ont passé sur les cadavres de ces victimes. Malheur à qui met le pied sur ce ruban noir. Il ne s’en est pas encore aperçu que des centaines de ces guerriers colériques le couvrent de la tête aux pieds, et enfoncent avec rage leurs tenailles dans les chairs. C’est à rendre fou. Les grands fauves, les plus redoutables carnassiers ne peuvent rien contre ces ennemis minuscules : ils mugissent, beuglent et rugissent, et s’enfuient. Quant au roi de la création, qui détruit et anéantit sur mer et sur terre les plus sauvages des cétacés et des mammifères, il est tout aussi impuissant devant cet insecte. Tant pis pour sa dignité; il lui faut sur-le- champ se dépouiller de tous ses vêtements, se masser de son mieux et se faire flamber au besoin. De nuit, le martyre est à son comble. Je n’aime pas m arrêter a la pensée d’un missionnaire ou de sa femme malade de la fièvre dans une chambre, dans un lit qu’ont envahi ces fourmis. Peut-on se figurer la torture d un homme enduit de graisse, garrotté pieds et mains et jeté en proie à ces implacables carnivores ? Néron, et les inquisiteurs plus tard, l’ont ignoré, nos ba-Rotsi, dans ce genre spécial, méritent la palme. Un supplice aussi rafhné ne pouvait pas leur échapper. ■ ■ ■ 1 1 ( E l ! est une autre fourmilière> un guêpier, comme je VOUS e disais. Deviendra-t-il jamais un lit de roses? Il n’en est pas un maintenant, a coup sur. Léwamka est un homme à qui j ’ai voué une vraie affection, malgré toutes ses fautes, tous ses défauts et ses caprices; et il le sait. Gomme chef de la nation, quelque incapable qu’on le juge de régner, il a H H B B I I COnsidération- A tont seigneur, tout honneur. G est biblique : « Craignez Dieu, honorez le roi. » Mais il a des boutades. Il est astucieux, arbitraire, d’un égoïsme exclusif; il est vindicatif et soupçon- H W B M Ü j f l l JUStiCC’ de D0bles 1 1 ™ de généreux mouvement de belles idées; mais tout cela paralysé par une désolante faiblesse de caractère qui en fait le jouet du premier venu. Quand, donc, il se livre à des actes publics condamnables, qu’en son nom il laisse ses subordonnés commettre de ces iniquités criantes qui révoltent même au Zambèze, quand ü mgère dans les affaires qui ne sont pas de son domaine, qu’il exige de nous non seulement ce qui n’est pas du nôtre, mais ce qui est incompatible avec notre ministère et nos principes, mon devoir est, avant tout, la fidélité. Aussi nest-il pas étonnant que je sois surtout un Michée pour cet autocrate, toujours et sans cesse berné par la servile adulation de ceux qui l’entourent Voila pourquoi ses rapports avec moi, qui vois trop et de trop près, subiront toujours des hausses et des baisses que reflètent les dispositions de ses serviteurs personnels. Il y avait baisse à mon arrivée ici, et je l’ai senti de plus d une manière. . r u& La famine est endémique à la capitale. Trois petites caravanes de Bihéens qui sont arrivées coup sur coup, absorbent à des prix exorbitants les quelques denrées disponibles, et les exactions dont ces marchands sont victhnes l o i r r ^ f h f i t •PU-S’ qU°iqU’en loin de la liberté! Le croirait-on? Pas un AhformiqmUee’ nq’uoes ernaoiut sm s’aopmpmoretse rd uonnec e ces bottes de roseaux qu’il avait coupées pour me vendre. Pas une de ces femmes qui brûlent d envie d’avoir de la verroterie blanche, n’oserait me céder une journée de travail, sans que le roi leur en donne la permission


27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above