loué des gens pour cet étranger? Ne sont-ce pas ses esclaves à lui? » Et la grosse question : « Quels seront leurs gages? » Car lui, Léwanika, ne veut que de l'argent, il ne rêve que cela. J’eus beau l’assurer que mon canot, comme ceux qu’il m’avait prêtés, allait chercher nos provisions et était sous les ordres du petit chef qu’il avait lui-même mis à la tête de cette expédition ; que M. Buckenham n’avait fait que profiter de cette occasion, comme je J’en avais du reste averti : rien n’y fit. Des billets aigres et de désagréables échos me répétaient les injures que le pauvre homme faisait pleuvoir sur ma tête, entouré de ses likomboa, flatteurs et courtisans de la pire espèce. J’envoyai même l’évangéliste Paul passer quelques jours auprès de lui pour mieux lui expliquer ce voyage de notre frère méthodiste dans mon bateau. Je crus un instant qu’il avait réussi. Quel ne fut pas notre étonnement d’apprendre, quelques jours plus tard, que Léwanika avait secrètement envoyé à un jeune homme, qui suit l’école et qui est le gardien de ses filles ici, l’ordre d’étrangler les ouvriers qui travaillaient chez moi, tous sans exception. Ce jeune homme, que je crois d’ailleurs être près du royaume des cieux, n’osa pas le faire ; il se contenta, par respect pour moi, de saisir le morceau de calicot au premier ouvrier que je payai. Ce fut le signal de toutes sortes de vexations. Les petits chefs qui suivent notre école, les gamins et les jeunes gens de leur suite, se frottaient les mains et jubilaient. Ils recommencèrent, comme aux jours d’autrefois, à détrousser les passants et à faire main basse sur les denrées qu’on nous apportait en vente. Ce fut une nouvelle panique. Tous nos ouvriers -ri et nous en avions un bon nombre, Car nous préparons ici tous les matériaux de construction pour la nouvelle station de Léalouyi — tous nos ouvriers, dis-je, à l’exception de deux qui ont fait preuve d’un courage vraiment admirable, se sauvèrent de nuit, et, pendant trois semaines, personne n’osa nous apporter quoi que ce soit à vendre. Si quelqu’un s’aventurait à venir nous voir, il se cachait d’abord dans les broussailles ; il guettait l’occasion où personne ne pouvait le voir, et ne parlait qu’à demi-voix. Bien que malade et pouvant à peine me tenir sur mes jambes, je partis pour Léalouyi où, selon mon habitude, je restai plusieurs jours. Le roi fut-il touché de mon état de faiblesse et de maigreur? Probablement, car il s’évertua à m’entourer d’égards et d’amabilité. Dans mes longs entretiens avec lui, je me fis un devoir de lui rappeler les grandes leçons de la révolution qui l’avait chassé en exil. Je n’eus pas de peine à le convaincre que cette clique de likomboa ne le respecterait pas davantage, parce qu’il tourmentait sans raison les serviteurs de Dieu, étrangers dans son pays et entièrement à sa merci. Il voulait hausser d’une manière absurde les gages des ouvriers et nous imposer des conditions par trop gênantes et humiliantes. Je tins bon, et il finit par se rendre. Il prétendit même s’indigner de ce qu’on avait outrepasse ses ordres pour nous tourmenter. Il manda le jeune homme dont il avait fait son espion et son agent de police. « Le moroüti, dit-il, m’a vaincu. J’étais de mauvaise humeur et j ’ai grondé. Maintenant, c’est fini. Que les jeunes gens qui le veulent travaillent comme toujours, et veillez à ce qu’on ne tracasse plus les gens qui vont chez lui vendre leur millet. » Voilà une réponse manifeste à nos prières, et nous en bénissons Dieu. Ce sont là des détails qui doivent vous paraître bien petits, cependant la vie, même la plus grande, en est faite, mais la soie n’est qu’un tissu de fils très minces. Et quand détail s’ajoute à détail, exaucement à exaucement, alors le chrétien qui observe et n’oublie pas se trouve, lui aussi, « entouré de chants de délivrance » (Ps. 3a, 7). Nous venons d’en avoir un nouvel exemple. La confiance des gens n’est pas encore rétablie ; nous sommes sans ouvriers et la famine nous menace. Le travail 11e chôme pas cependant, grâce au personnel de notre établissement. Mais, avant-hier, on avait mesuré la dernière portion de farine. A notre culte de famille, ce n’était donc pas pour nous une vaine redite que de répéter ensemble à haute voix : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien! » Tout le jour je fus aux aguets pour voir de quel côté nous viendrait la réponse. Rien! Nous étions étonnés, et le soir nous le disions au Seigneur. O gens de petite foi!... Ce soir même, pendant que nous étions à genoux, un messager du roi arrivait au village. Il nous apportait, de la part du roi, « mon ami et mon frère », deux oies sauvages toutes cuites et un gros paquet de viande séchée d’hippopotame. Comment ne pas penser au corbeau du prophète, et ne pas se sentir pénétré de la fidélité de Dieu ? Le même messager m’apportait aussi, de la part d’un autre de mes « amis », cent vingt pommes de terre toutes petites, cent vingt bien comptées, qui m avaient été offertes, pour semence, il y a quelques semaines, pour la modique somme, en nature, de 60 fr. ! C’est salé. Le lendemain matin, deux hommes blottis à l’écart me demandaient à voix basse s’ils pouvaient apporter la farine et le blé qu’ils avaient à vendre et qu’ils avaient cachés dans les buissons. « Sans doute, dis-je à haute voix devant tous ceux qui étaient la, et maintenant même, vous n’avez rien à craindre. » Donc, le « marché» va se rouvrir. Reconnaissons-le, le Seigneur fait 1 éducation de ses enfants par des moyens qui sont siens ; mais nous avons la tête dure, et que de fois ne nous faut-il pas revenir à l’AB C de la foi et de la confiance sans réserve ? . Un souci, — car les soucis sont la mauvaise herbe, le chiendent de la vie, — un souci, dis-je, c’était le chaume, la grande herbe qu’il me fallait pour couvrir l’église, la chaumière et les huttes de la nouvelle station. On disait que Léwanika et son fils Litia, qui bâtissent aussi, avaient entièrement mois- HAUT-ZAMBÈZE. 5r3»
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