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que ce soit, sans même oser aller voir son propre bétail ou visiter son champ, jusqu’à l’apparition d’une lune nouvelle, de peur qu’il ne répandît le fléau dont il était lui-même la victime. Comme c’était au tout premier quartier de la nouvelle lune, la femme et son mari ne goûtaient pas précisément la perspective d’une si longue quarantaine ; ils cachèrent l’accident. Il ne se passa pas vingt-quatre heures avant qu’il ne fût ébruité. Or, cet homme, du nom de Manyatélé, était un des principaux officiers de l’établissement du roi, un sékomboa, un homme de quarante-cinq à cinquante ans, un favori de son maître, et généralement respecté. Rien n’y fit; ses pairs, les autres sékomboa, se précipitèrent sur lui, l’entraînèrent, fortement lié, à la rivière, lui arrachèrent les cheveux avec leurs formidables ongles ; le saisissant, ils l’étranglèrent sous l’eau jusqu’à ce qu’il fût presque mort, puis le battirent de verges pour le faire revenir à lui-même, et l’abandonnèrent sur le rivage par une pluie torrentielle. 11 ne fut pas difficile de montrer à Léwanika la cruauté de tels procédés, et, dès le lendemain, le malheureux rentrait chez lui à la faveur de la nuit. J’allai le voir; mais j ’eus de la peine à le décider à sortir de sa hutte dans la cour, tant il se sentait humilié. Le paganisme des ba- Rotsi est cruel et grossier. Il foule aux pieds tout rang, toute dignité, tout respect; rien ne lui en imposé. Nous avons ici l’expédition missionnaire des méthodistes primitifs. Nous jouissons de leur voisinage. Nous nous voyons tous les jours, soit pour nos réunions de prières et d’édification, soit pour des soirées de chant. Le roi, qui s’était d’abord servi d’eux pour me bloquer l’entrée de son village, a nettement refusé de les laisser s’établir, soit chez les ma-Choukouloumboué, soit chez les ba-Toka, soit ailleurs dans son pays. Mais les influences qu’il subissait alors ont eu leur temps, et si nos amis ont foi dans leur vocation, et s’ils ont de la patience, je crois que Dieu leur ouvrira encore la- porte des ma-Choukouloumboué. Ma scierie est en pleine activité. M. Waddell prépare les matériaux pour la construction de notre tabernacle à Léalouyi. Ce sera, mais un peu plus grande, la copie de celui d’ici. Et dès que les eaux se seront retirées — l’inondation est de tout un mois en retard, cette année — nous commencerons le transport de tout ce matériel et construirons. Mais c’est plus facile à dire qu’à effectuer. Nous sommes dans un embarras extrême. Il n’y a que M. L. Jalla qui puisse, dans les circonstances actuelles, prendre ma place ici. Quand je partirai de Séfoula, le gros de l’école me suivra à Léalouyi. Qui la fera, cette école, à Léalouyi ? Paul, veuf comme moi, me secondera bien dans la mesure de ses forces. Il est un chrétien ardent et un évangéliste zélé ; mais nul comme maître d’école. Et, pour moi, je ne me sens plus la force de me charger seul d’une si lourde tâche. Je n’ai plus le ressort et 1 entrain qu’il faut pour cela, et j ’ajoute que, si je veux faire à la capitale l’oeuvre d’un bon évangéliste, je n’en aurai pas non plus le temps. Et si M. L. Jalla quitte Kazoungoula, qui le remplacera?... Et les'autres postes, qui les occupera?... Les Jeanmairet nous annoncent définitivement qu’ils ne sont plus des nôtres. Et, par-dessus tout cela, le linceul du déficit ! Que Dieu nous soit en aide ! Et vous aussi, chers amis, secourez-nous pendant qu’il en est temps encore. N’attendez pas qu’il soit trop tard. Il faut que je m’arrête; mais non pas sans vous dire encore combien j ’ai été touché de l’empressement avec lequel des amis ont voulu me fournir une nouvelle monture. Ce n’est pas un luxe, je vous assure. Mon digne ami Khama m’a fait dire qu’il s’occupait de m’en trouver une bonne. Mais les bons chevaux, les salés, c’est-à-dire ceux que la maladie a déjà inoculés, sont rares et chers. Mais Dieu qui nous a fourni les moyens de l’acheter, nous fera aussi trouver la bête. Priez pour votre frère dans l’afïliction. Séfoula, quelques jours plus tard. Toutes vos lettres sont là, devant moi. Elles viennent un peu de partout, comme les échos d’une sympathie générale. Pendant dix jours, le soir, après le repas et le culte de famille, retiré dans mon cabinet, vous auriez pu me voir seul avec vous, et jusqu’à une heure assez avancée, boire à longs traits à la coupe débordante de vos consolations, m’étonnant que, dans mon désert, dans cette terre altérée et sans eau, jaillisse si spontanément une source aussi débordante de sollicitude et d’afTection. Qui de nous oserait douter de la communion des saints et de l’union réelle du corps de Christ? Vous l’avez donc appréciée, celle que je pleure ! Elle n’était pas démonstrative, elle-avait horreur de tout ce qui sentait la mise en scène et visait à l’effet. Mais, quand une fois elle avait ouvert son coeur et donné sa confiance, c,’était pour toujours. Vous avez compris que je suis un pauvre être humain qui souffre, qui peut s’abattre et se décourager. Sur le champ de bataille et au milieu de la mêlée, n’est-ce pas, il n’est pas indigne du soldat de donner une pensée et une larme à ce compagnon d’armes qui tombe à son côté? Jésus l’a fait. Mais ¡1 ne faut pas que le guerrier faiblisse, il ne faut pas que le combat soit compromis. Je ne voudrais pas que vous m’eussiez privé d’une seule de vos lettres, car chacune a sa goutte pour adoucir l’amertume de ma coupe. Chacune apporte aussi sa paillette d’or, qu’à mon tour je dépose aux pieds de mon Maître bien-aimé, comme un hommage digne de lui seul. « Vous êtes un homme riche », m’écrivait un ami. Riche ? Et j ’ai tout


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