auquel, si je le compris bien, il répondit avec ironie. Sans me décourager, je sonnai la cloche, et nous allâmes avec les jeunes gens au lèkhothla. Personne! Nous nous mîmes à chanter; un à un arrivèrent quelques hommes, si bien que, quand je commençai à prêcher, j ’avais une cinquantaine d’auditeurs. Je leur présentai l’évangéliste Paul, qui parla avec modestie et chaleur, puis M. Buckenham fit une allocution que je traduisis, pleine de bon sens et d’à-propos. J’étais content de voir présents Gambella, ses femmes et quelques uns des principaux chefs. Ce fut un bon service ou nous sentîmes la présence de Dieu. Les hommes restèrent au lèkhothla longtemps après nous pour causer avec André et nos autres jeunes gens de la grosse question du jour. Le service de l’après-midi fut plus nombreux et non moins doux. Léwa- nika n’était pas sorti de chez lui de tout le jour. Quel ne fut pas mon étonnement, le soir, de voir un de ses serviteurs m’apporter un message de sa part : « Le roi s’informe de ta santé, et demande s’il peut venir dîner avec toi. » — « Dis-lui que je ne suis pas bien, mais c’est peu de chose; et quant au dîner, je n’ai qu’une tasse de thé et un morceau'de pain sec. Si Léwanika veut venir les partager avec moi, il est, comme toujours, le bienvenu. » Bientôt après, les bruyants claquements de mains, qui se succédaient de la maison du roi à la mienne, annonçaient la procession des marmitons portant la nourriture et les ustensiles royaux. Lui-même ne se lit pas attendre; il arrivait tout radieux, tout mielleux, faisant de louables efforts pour animer la conversation. Le repas fini, les plats — ce qui n’est pas du tout l’habitude — passèrent à Paul et à André, et d’eux, les restes passèrent à nos autres garçons. Le roi leur criait de dedans la maison : Ce n est pas moi qui vous nourris, c’est votre père le morouti, c’est sa nourriture à lui, vous entendez ! » On avait à peine desservi la table qu’éclata un terrible coup de tonnerre, qui nous jeta presque à terre. Ce premier coup fut. suivi d’un second, puis d’une pluie torrentielle. Je racontais a Léwanika certains traits de l’histoire de Néron, quand tout à coup la porte de roseaux s’ouvre, et une masse de gens qui se pressent , Litia, Gambella et les principaux chefs en tête font irruption sans cérémonie, nous obligent à nous reculer au fond de la hutte, et remplissent, serrés comme des harengs, la maison, le vaste corridor concentrique, la véranda extérieure, et je crois aussi la cour elle-même. « Ah! ah! s’écria le roi, les voilà, les nôtres, je le savais bien, les voilà! » Mon étonnement l’amusait évidemment; je n’y comprenais absolument rien. Le silence rétabli, il m’expliqua que. c’est là une des coutumes des ba-Rotsi. Quand il fait un orage, qu’il tonne, tous les hommes de sa parenté et tous les chefs qui sont à la capitale accourent chez lui, dans la pièce même où il se trouve, pour mourir avec lui, si la foudre le tue. Ce soir, ils le savaient chez moi. Gela me rappela un souvenir d’enfance. Que de fois, au milieu de la nuit, pendant un orage, n’ai-je pas vu accourirjchez ma mère nos voisins catholiques et protestants ! « Mon petit, disait ma mère, lis-nous un psaume et une prière ! » Puis, l’orage passé, chacun remerciait ma bonne mère et « le petit », et s’en retournait chez soi avec le sentiment d’une grande délivrance. Ce souvenir m’inspira. Nous chantâmes cantique après cantique, au choix de Léwanika et de nos habitués, puis la lecture de deux ou trois versets, quelques paroles brèves, une prière qu’on écouta dans le plus profond silence, et ce singulier auditoire, qui m’avait fui le jour et que Dieu m’amenait de nuit, se dispersa tout étonné, en claquant de la langue. Léwanika s’étant lui-même rapproché de moi, nos rapports reprirent leur cours ordinaire. Nous eûmes tous nos repas en commun et nous passions de longues heures ensemble. J’eus beau plaider cependant pour nos frères méthodistes et la mission chez les ma-Choukouloumboué, il n’en voulut pas entendre parler. Ils n’ont donc d’autre alternative que de s’établir à côté de nous et nous faire concurrence —: ce qu’ils ne feront jamais — ou bien de franchir les frontières du royaume de Léwanika, et chercher au delà un autre champ de travail. Je les y engage beaucoup, et je crois qu’ils ne perdront pas leur temps en allant explorer la région qui s’étend au nord du Zambèze, entre le Kafoué et Zoumbo. Si j ’étais à la tête de cette expédition et que je connusse Léwanika comme je le connais, je ne pourrais pas me résoudre à abandonner le projet d’une mission chez lesma-Ghoukouloumboué. Léwanika finirait par céder. Mais cela n’est pas une base suffisante pour que d’autres bâtissent dessus, surtout après tant de revers. M. Buckenham me laissa donc à mes propres affaires à Léalouyi, et s’en retourna à Séfoula. Dans nos entretiens subséquents, Léwanika reconnut bien que,’ dans la scène à laquelle j ’ai fait allusion, il m’avait injurié et il s’en excusa de son mieux. Il se disait harassé de soucis, ce qui est assez naturel ; il protestait de sa grande et vieille amitié pour moi et m’assurait que mon transfert à la capitale n’était pas du tout mis en question par lui, mais que les chefs sont animés de tout autres dispositions. Ils ont tant entendu parler de missionnaires qui, au lieu de prêcher l’Evangile, enseignent toutes sortes de métiers, qu’ils disent ouvertement que ce sont là les missionnaires qu’il nous faut ici. «Tu les entendras toi-même, ajoute-t-il; je les convoquerai tous en pitso demain pour discuter ces affaires-là. » Il tint parole, le pitso eut lieu. Je craignais fort que ce ne fût un coup monté, et je n’étais pas du tout rassuré, loin de là. Je réunis préalablement mes jeunes gens et nous en fîmes un sujet de prières ardentes. Le pitso dura deux heures. Ce fut, comme toujours, une fusillade de petits discours, dont je pris soigneusement note. Je m’attendais à une vive opposition, mais, à ma
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