Page 251

27f 90-2

Séfoula, io février 1892. André est Tenu passer toute une semaine avec nous, ce qui m’a donné l’occasion d’avoir de sérieux entretiens avec lui. Ces entretiens n’ont pas eu pour résultat de le ramener dans ma maison — je n’y comptais pas non plus — mais ils m’ont confirmé dans la conviction que, lui aussi, le pauvre garçon a été la victime inconsciente de trames ourdies et conduites avec autant d’habileté que de détermination. Son manque de vigilance est non moins à blâmer que son peu de franchise, une fois qu’il s’est vu pris aux filets. Il nous est arrivé comme un enfant prodigue. Quelques instants après, il allait s installer dans sa chambre, et bientôt il se retrouvait tout naturellement ai home. Il faisait une inspection générale des dépendances, jetait un coup d’oeil sur la cuisine, présidait comme par le passé à la distribution générale de la nourriture. Le lendemain, il s’occupait des achats de farine, maïs, etc., ce qu’il fait beaucoup mieux que moi. Sa modestie, son empressement à rendre service, me rappelaient ses plus beaux jours. Il est reparti cet après-midi, avec 1 intention de revenir dans quinze jours pour deux semaines, si toutefois Léwanika le lui permet. Car, malheureusement, il n’est plus libre, et Dieu seul peut maintenant briser ses liens et lui rendre la liberté. Le but de sa visite, c’était d’abord de me voir, parce qu’il avait appris mes. insomnies, mais c était aussi pour obtenir de moi l’autorisation de faire à Léalouyi l’oeuvre d’un évangéliste. Il ne peut être question de lui donner un emploi officiel. Mais ses bonnes dispositions nous rassurent un peu et nous font plaisir. Que Dieu le garde, et qu’il se serve de lui pour glorifier la puissance de sa grâce. Je reviens de Léalouyi, où j ’ai fait un plus long séjour que d’ordinaire. M. Buckenham, de l’expédition des méthodistes primitifs, m’y avait devancé pour donner à Léwanika la satisfaction d’un entretien privé. Mais notre ami, ne sachant pas un mot de sessouto et ne trouvant là qu’un interprète peu sympathique, résolut d’attendre mon arrivée avant de quitter la capitale. Il s’y trouve un homme qui était des nôtres jadis, et en qui j ’avais placé une grande confiance. Malheureusement, il portait un masque et le portait admirablement bien. Quand il le jeta, — après nous avoir quittés apparemment dans les meilleurs termes, — il prit, vis-à-vis de la mission en général, et vis-à-vis de moi en particulier, la position d’un adversaire acharné, tant en politique qu’en religion. Il se déclara incrédule et athée, se mit à faire de la propagande avec un zèle digne d’une meilleure cause. Il y a déjà longtemps que le roi subit son influence. 11 est assez naturel que cet homme ait mis tous ses artifices en oeuvre pour faire avorter, si possible, mes plans d’mstallaüon à Léalouyi. Ces quelques mots d’explication étaient nécessaires pour vous faire comprendre ce qui suit. Léwanika me reçut froidement et, contre son habitude, se tint à l’écart. Le lendemain, M. Buckenham sollicita une nouvelle entrevue, qui eut lieu chez moi ; le roi se montra chicaneur ; il fit à notre frère toutes sortes de questions banales, et ne répondit aux siennes que par des monosyllabes. Enfin, prenant son grand courage: « Vous n’irez, dit-il, ni chez les ma- Choukouloumboué, ni chez les ba-Toka, ni chez aucun clan tributaire; mais venez vous fixer à Léalouyi et à Nalolo. Voilà mon dernier mot. » Notre frère lui expliqua les raisons qui s’opposaient à un pareil arrangement, attendu qu il avait déjà des missionnaires, que je faisais moi-même mes préparatifs pour me fixer à Léalouyi, que d’autres étaient attendus pour occuper Nalolo et d’autres endroits importants, et que, du reste, c’était la règle pour la bonne harmonie entre les Églises de ne pas empiéter l’une dans le champ déjà occupé par une autre. « Je ne veux pas de ce monopole-là, répliqua le roi. Du reste, les missionnaires français m’ont donné tout ce qu’ils ont à donner, c’est-à-dire rien. Qu’ai-je à faire de leur Évangile et de leur Dieu ? N’avions-nous pas de dieux, avant leur arrivée? L’ont-ils vu, leur Dieu dont ils parlent tant? Qu’avons-nous besoin de tout ce fatras de fables que vous appelez la Bible? Valent-elles mieux que les nôtres? Que nous fait votre école? Pour vous, c’est votre gagne-pain; pour nous, c’est une niaiserie sans but et sans avantage. Ce que je veux, moi, ce sont des missionnaires de toute espèce qui travaillent côte à côte, ici, à Léalouyi et à Nalolo, des missionnaires surtout qui bâtissent de grands ateliers et nous enseignent tous les métiers des blancs. Qu’ai-je a faire de chrétiens qui ne savent que lire, écrire et prier le Dieu des blancs? Ce que je veux, ce sont des menuisiers, des forgerons, des armuriers, des maçons, etc. Voilà ce que je veux: des industriels missionnaires; voilà ce que veulent tous les chefs; nous nous moquons du reste. » Léwanika avait mis toute retenue de côté et se croyait vaillant. Ce n’était donc plus seulement la cause de nos frères méthodistes qui était en jeu, mais bien la nôtre. Et il savait que j ’étais venu pour faire des arrangements définitifs relativement à mon installation à Léalouyi. Je lui répondis calmement; mais comme c’était chez lui un parti-pris, mes arguments parurent ne produire que peu d’impression. Il nous quitta brus- quement et ne parut plus. Le dimanche matin, le lendemain, je lui envoyai pour le culte un message


27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above