Page 245

27f 90-2

l’entendait grelotter et s’écrier : Mawèl Mawé! l’exclamation de souffrance des ba-Rotsi. M. Waddell fît bien ce qu’il put pour cet esclave, qu’on traite pis qu’un chien. Mais ce souvenir me touche et me confond. Pourquoi ne travaillait-il pas plutôt pour une couverture ? On ne s’habitue pas à la souffrance. Mpoutoutou né couche pas à couvert; il est un de ceux qui couchent dehors, à la porte de son jeune maître. Sera-ce vraiment notre Philémon ? Litia, lui, dont le retour, de Mangouato, comme je l’ai dit; nous peinait et nous inquiétait, nous l’attendions depuis longtemps aux pieds du Sauveur. Dès la première entrevue que j ’eus avec lui, tout le brouillard de nos craintes se dissipa, «, Mon père, me dit-il, rayonnant de joie, je ne suis plus le Litia d’autrefois ; je suis converti, j ’ai trouvé Jésus !» Je ne sais pas encore jusqu’à quel point il a le sentiment du péché, et j ’ignore si, dans la position qu’il occupe, il sera un chrétien conséquent. Pour cela, il faut que l’oeuvre de la grâce de Dieu, dans ¿¡on coeur, soit réelle et profonde. Mais, à en juger par les conversations que j ’ai eues avec lui et par ses prières, je ne puis m’empêcher de croire à la sincérité de sa conversion. Il paraît que ce sont les exhortations et les prières d’un jeune homme de Mangouato qui ont fait tomber les écailles de ses yeux. Et, au dernier service auquel ma femme ait assisté sur la terre, quand le soleil touchait a 1 horizon, le cher, cher garçon, debout au milieu des gens rassemblés sur la place publique de Léalouyi, faisait publiquement une simple, mais touchante confession de foi. Pendant ce temps, son compagnon de voyage, Mokamba, aussi de la famille royale, pleurait et sanglotait. Nous étions tous émus. « Oh ! si tu ouvrais les cieux ! » répétait souvent, en prière ardente, ma chère femme, pendant sa maladie. Eh bien! voilà ce qu’elle a vu et entendu : les premières gouttes des',ondées que nous attendons ; les premières notes du chant de victoire avant de quitter le champ de bataille. ... J’étais en train de terminer cette lettre, quand quelqu’un frappa à ma porte. C’était Nyondo, un intéressant garçon mo-GhoukouIoumboué. C’est un esclave du roi. Il avait conçu un tel désir d’apprendre à lire, que Léwanika lui permit de venir vivre chez nous. C’est bien, de tous, notre meilleur élève sous tous les rapports et, avant peu, il aura devancé tous ceux qui 1 ont précédé à l’école, et il sera un des premiers. Sa conduite, à la maison comme à l’école, se dément rarement. 11 est sérieux, obéissant, véridique surtout, ce qui est si rare ici, et respectueux. Nous nous sommes souvent demandé ce qui le retenait, et nous avons beaucoup prié pour lui. La mort de ma chère femme l’a ébranlé. Nous l’avons vu, à mes appels, se prendre la tète dans ses mains et essayer de cacher ses larmes. Inutile! il se dit si labouré, si travaillé dans sa conscience, que. plusieurs fois il est allé de nuit, et plus d’une fois dans la même nuit, vers André, pour lui demander le secours de ses exhortations et de ses prières. « Je ne dors pas, me dit-il, je veille et je pleure toute la nuit; je suis malade au coeur, je ne puis pas même manger. Je l’ai dit à mes camarades, je suis malade, que me faut-il faire ? » J’ai parié et j ’ai prié avec lui. Mon âme, bénis l’Éternel ‘ I P- — J’ai reçu coup sur coup, après neuf ou dix mois passés sans recevoir de nouvelles, deux volumineux courriers m’apportant, au milieu de beaucoup de témoignages de sympathie, la nouvelle de l’établissement définitif dit protectorat britannique sur le pays des ba-Rotsi et la reconnaissance, par la reine, du contrat passé entre Léwanika et la Sonth-African Company. Celte nouvelle réduisait à néant les calomnies représentant ce contrat comme livrant purement et simplement le pays à l’exploitation d’une société commerciale, sans aucun des avantages qui résultent, pour une tribu indigène, du contrôle supérieur exercé par un gouvernement civilisé. En faisant connaître ces nouvelles à Léwanika, le gouverneur du Cap, sir H. Loch, m’annonçait que la reine avait nommé, comme son représentant auprès de lui, 1 explorateur bien connu, M. Johnston, et que ce dernier viendrait se fixer à la Vallée dès qu’il le pourrait. C’était tout ce qu’il fallait pour dissiper nos brouillards politiques... Léwanika dit qu’il s’en réjouit. Déjà, il avait reçu de Khamà, par Litia, de sérieuses remontrances au sujet de son revirement... Ces dépêches arrivent en temps opportun, car on rassemble un grandpitso des chefs du pays... Ce n’est pas à dire que nous entrions dans l’âge d’or. L’âge d’or n’existe que dans le passé des vieillards et dans l’imagination des poètes. Il y aura du mal, beaucoup de mal, à côté d’un peu de bien. Mais, si ce peu de bien, c est le salut de ces tribus par l’établissement d’un gouvernement ferme et équitable^ c’est beaucoup, c’est tout... Depuis plus de trois mois, tous les gens de la Vallée et des environs travaillent sans relâche à des canaux, se nourrissant comme ils peuvent. Comme d’habitude, des émissaires du roi parcourent les villages, maltraitant ceux-ci, saisissant le bétail de ceux-là. Lès pauvres gens sont poussés à bout. Tout cela pour venger une insulte essuyée par un messager de la reine, pendant qu’elle était à Séchéké... Et l’affaire n’est pas terminée. Tout le monde souffre et gémit; les gens ont de la peine à contenir leurs murmures et leur mécontentement. On le dit, et je le crois : sans nous, il y a longtemps qu’une révolution eût éclaté... i . Il s’opéra alors un réveil des consciences dans le personnel de la maison, garçons et filles, et qui, a une ou deux exceptions près, ont tous persévéré. De ce nombre se trouve Semoenji, le pieux évangéliste qui m’a accompagné en Europe (1897).


27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above