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Elle a vécu, elle a travaillé, elle a souffert comme peu de femmes missionnaires l’ont fait. Le Seigneur l’a prise, et il l’a fait avec tendresse. Pendant plus de trente ans, mêlant sa vie avec la mienne, elle a — après mon Sauveur et mon Dieu ! — été tout pour moi. Elle était tout près du centre de tous mes projets. Elle a, en les partageant, embelli mes joies, adouci mes peines, porté sa grosse part de travaux et de fatigues, dans la bonne et dans la mauvaise réputation, humblement, s’oubliant toujours avec un dévouement sans égal. Je perds en elle une femme, une vraie, dans toute la force du terme, que j ’avais reçue comme « une faveur de l’Eternel ». Je pouvais toujours compter sur son jugement, sur la sagesse de ses conseils. Au début -de notre vie de mariage, elle m’avait déclaré que jamais je ne la trouverais entre mon devoir et moi. Elle disait vrai. Si Dieu m’avait clairement appelé au bout du monde, elle m’y aurait suivi joyeusement, sans consulter ni ses goûts, ni ses aises. Ce fut pour elle un coup terrible de quitter Léribé, l’oeuvre de notre jeunesse. Mais elle a fait le sacrifice sans murmurer, tout en me disant qu’elle n’aurait plus de home ici-bas, et qu’elle serait, désormais, étrangère et voyageuse sur la terre... Ces sombres jours ont eu aussi leur arc-en-ciel ; et au milieu de mes larmes, je puis bénir. J’étais à la maison, moi qui voyage tant. C’était une telle joie pour elle ! Mon anniversaire de naissance, le 17 juillet, nous avait si souvent trouvés séparés, que, cette année, c’était plaisir de la voir si heureuse. Oh ! quand je pense qu’au moment de son départ, j ’aurais pu être en voyage, que M,le Kiener eût pu n’être pas chez nous, mon coeur déborde de reconnaissance envers Dieu. Mlle Kiener a été une vraie fille pour elle. Ma pauvre femme, entre nous, se plaisait à l’appeler : Dieu-donnée. Elle l’aimait tendrement. Il y avait un fort courant de sympathies entre elles. Pendant toute cette année que cette chère soeur a passée à Séfoula, année exceptionnellement dure, pleine d’épreuves et de souffrances, elle lui a prodigué bien des soins, adouci bien des peines; elle nous a été en joie et en bénédiction... Nous avions encore ce fidèle Waddell, lui aussi si affectueux et si dévoué, sans oublier notre cher André. C’est tout notre petit monde à nous ; il est vite compté, mais il était au complet. Et puis, elle a eu la joie, la douce joie de voir les premiers fruits de la moisson. Que valent-ils? Que donneront-ils, ces premiers fruits ? Je n’en sais rien. Mais enfin, pour le moment, ils sont émotion en interprétant au refrain le cri de joie et de triomphe du nautonnier qui après la tempête, « entrevoit enfin la Porte d’or » où il va entrer au port... Sa voix se tut, ses mains restèrent immobiles sur le clavier; nous étions l’un et l’autre devenus pensifs. J’étais sous l’empire d’un pressentiment indéfinissable. Elle, toujours sereine, paraissait contempler une belle vision... La domestique entra, le charipe fut rompu. Elle poussa un profond soupir, je l’aidai à regagner son lit. Peu de jours après, elle avait passé « la porte d’or ! » que sûrement elle avait entrevue ce soir-là. là. Outre André, quatre de nos jeunes gens professent d’avoir trouvé Jésus. Aurait-elle pu désirer un plus beau coucher de soleil ? L’année avait été rude. Jamais, pendant trente ans de vie commune, nous n’avions passé par tant de souffrances et d’angoisses. Elle le disait souvent : « Quelle année ! Je me demande comment elle finira ? » Tout semblait contre nous, tout. Un mauvais esprit d’hostilité, suscité par un homme qui, naguère, avait toute ma confiance et toute mon affection, — mon « Alexandre, le forgeron », — régnait partout, possédait le roi et bouleversait notre école. Nous perdions du terrain, nous le sentions. Litia, que nous nous réjouissions, un peu en tremblant, c’est vrai, de voir aller au Lessouto, avait, presque au début des malentendus avec notre ami Jalla, et, après lui avoir rendu le voyage difficile, il le quittait à Mangouato et revenait seul, avec ses compagnons, au pays. Nous redoutions les effets de ce coup de tête et nous avions bien raison, car, quand la nouvelle arriva, nos élèves, en masse, nous quittèrent dès le lendemain ; quant au roi, il ne daignait même jplus répondre à mes messages. Nous continuâmes quand même, avec les enfants de la maison et les quelques élèves que nous pûmes recruter dans les villages voisins. Au bout de quinze jours de boutade, nos élèves revinrent, un peu confus de voir que nous pouvions avoir une école sans eux. Mais l’esprit n’était pas bon quand même. Nous étions fatigués de la lutte. Eh bien, la dernière semaine avant les vacances, un petit garçon, un des esclaves du fils de la reine, qui suivait son jeune maître à l’école, se déclara pour le Sauveur. Quand il vint dans ma chambre pour me parler, je n’en pouvais pas croire mes oreilles. « Morouti, je viens avec de grandes nouvelles : f a i trouvé JésusI » Il avait été sérieux et troublé dans son âme pendant toute une année ; il avait même travaillé de ses mains pour se procurer les livres que d’autres recevaient de leurs maîtres, ou achetaient avec de jeunes boeufs. Quand je l’eus écouté, qu’il eut prié avec moi, je courus vers ma femme et lui dis : « Pense, chérie, quelle nouvelle ! Mpoutoutou vient de me parler : il dit qu’il a trouvé Jésus ! » Je vous laisse à penser la joie que ce fut dans notre petit cercle de famille. Pauvre Mpoutoutou ! Je ne sais pourquoi nous étions si surpris de sa conversion. Hélas ! c’est que, tout en priant avec ardeur, nous avions, après tout, bien peu de foi, et nous disions assez naturellement à Rhode, qui, hors de joie, nous annonce l’exaucement de nos prières: « Tu es folle 1 » N o u s ne valons pas mieux que les chrétiens de Jérusalem, si seulement nous valons autant ! Ce pauvre garçon, qui travaillait deux mois pour se procurer les livres que personne n’eût songé à lui donner n’avait pas même quelques haillons de peau ou de natte pour coucher. Je n’en savais rien. C’était l’hiver; ü accompagna M. Waddell, loin, dans la forêt, pour couper du bois de charpente. Il faisait froid et, toute la nuit, on


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