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autour de nous, c’étaient de beaux jours. La maison aussi fut construite, je crus que c’était notre nid, et, pour l’amour d’elle, je le ouatai de mon mieux. Deux ans ne s’étaient pas écoulés que nous partions pour le pays des ba-Nyaï. « Nous avons levé l’ancre, disait-elle, nous voguons vers l’inconnu, Dieu sait où nous allons aborder. » Qui eût dit alors que ce serait au Zambèze? Le Zambèze était pour elle le poste du devoir; il a été aussi celui de la souffrance. Elle y a souffert moralement plus encore que physiquement. Jamais, pendant les trente années de notre vie commune, nous n’avons eu des desappointements aussi amers, ni des épreuves aussi cuisantes et aussi douloureuses. Il fallait donc que notre oeuvre aussi fût consacrée par la souffrance... Mais Dieu ne nous a pas oubliés. Des amis en Europe, connus et inconnus, nous ont entourés de leur sympathie et de leurs prières. André, M. Waddell et M"' Kiener, chacun à sa place et dans la mesure de ses forces, nous ont, à elle surtout, témoigné une affection et un dévouement qui nous ont été en bénédiction, et dont se souviendra notre adorable Maître, qui a dit : « J’étais malade et vous m’avez visité...» . Je ne me sens pas bien. Mais soyez sans souci, je ne succomberai pas quand mon oeuvre n’est pas finie. Je suis prêt à tout. Je boirai jusqu’à la lie, s’il le faut, la coupe que mon Père me donne. Je n’ai qu’un seul désir : faire sa volonté et glorifier son nom. Même jour. ... Ses restes mortels reposent à l’ombre de ce grand arbre de la forêt où nous avions fait un pique-nique et où nous aimions aller quelquefois E9 lorsqu’elle en était capable — nous asseoir, causer, lire ou méditer. J’avais fait déblayer un espace tout autour, et fait un petit chemin pour y conduire. « Quel délicieux endroit ! Quel calme ! Quel repos ! Fais-moi reposer ici quand je mourrai, n’est-ce pas? » me dit-elle un jour. Et c est là, en effet, qu elle repose. ... Dieu m’a soutenu pour ce terrible jour de l’enterrement que je redoutais tant. J’ai pu m’occuper de tous les détails de la cérémonie funèbre, grâce au concours affectueux de Waddell, d’André et de M1" Kiener, chacun dans son département propre. J’ai pu lire, prier, exhorter et même chanter au bord de cette fosse qui me ravissait ce que j ’avais de plus précieux au monde et qui engloutissait tous mes plans les plus chers. Oui, j ’ai pu, sans éclater en sanglots, chanter le chant de triomphe et d’espérance : « Jésus est ressuscité des morts ! » C’est le cantique XXXIV de notre recueil sessouto. On a écouté mes appels avec une morne attention. Je devais paraître bien étrange à ces pauvres gens.,.Nous étions tous endimanchés, les enfants de la maison avaient des écharpes de calicot blanc en signe de deuil, le cercueil, garni de blanc, avait été orné d’une croix et de couronnes de feuillage’par les mains affectueuses de MIle Kiener, et nous chantions ! Léwanika avait envoyé les principaux chefs de la nation qui se trouvaient près de lui, Litia et quelques-uns de nos jeunes gens étaient là, de même que les femmes des environs qui ont eu assez de courage pour vaincre leurs craintes et leurs préjugés. Léwanika, indisposé et ne pouvant venir, m’en- voyait un boeuf. G étaient ses larmes. Il paraît que c’est l’habitude d’envoyer un présent quelconque quand on ne peut pas aller soi-même à l’enterrement d un membre de sa propre famille. Je ne l’acceptai qu’après m’être bien assuré que ce n’était rien de plus qu’une pure et simple expression de sympathie. Mokouaé, elle aussi, envoya ses principaux personnages, et d’autres viennent les uns après les autres !... Pauvres gens ! ils ne peuvent pas donner ce qu ils n’ont pas. J’ai été bien touché hier de voir un pauvre homme, à moi inconnu, venir me présenter, avec un petit discours de vraie sympathie, une paire de poulets !... Je ne le perdrai pas de vue, ce brave Matondo !... Il a plu à Dieu de me jeter au creuset de l’épreuve. Il m’a retiré celle qu’il m’avait donnée, pendant plus de trente ans, comme compagne de ma vie et de mes travaux. Il y a déjà quinze jours, quinze longs jours, quinze jours qui me paraissent des mois, que je suis seul. Ses précieux restes reposent dans la tombe ; elle est entrée dans ce repos après lequel elle soupirait tant; elle contemple le Roi de gloire dans sa beauté, ce Jésus qu’elle a aimé et servi. Je ne voudrais pas, même si je le pouvais, la rappeler à cette vie de souffrance et de péché. Mais quand je l’ai suivie jusqu’au seuil de l’éternité, quand je l’ai vue déjà resplendissante de la gloire du cie], et que le portail de la cité de Dieu s’est fermé sur elle, que je me suis trouvé seul, tout seul, dans les ténèbres et dans les larmes, mon coeur s’est brisé1... 1. Un jour, un de ces jours inoubliables, au crépuscule, en attendant qu’on servit le repas du soir, je m’étais mis à l’harmonium et je chantais un de nos cantiques favoris. J’étais dans la salle à manger. Quel ne fut pas mon étonnement de la voir à mes côtés dans sa robe de chambre blanche ! C’était comme une apparition. Elle avait pu se lever et s’était glissée jusqu’à moi. Laisse-moi une fois encore jouer pour toi, et ayons encore un cantique ensemble. » — Elle choisit la a Porte d’or » (the Golden Gâte. Sankey et M* Granahan’s choirs and solos fo r meri). — « Voilà le mien ! ajouta-t-elle. T-Elle jouait, et moi je chantais. Nous étions seuls. Les paroles semblaient nous inspirer; un sentiment de solennité nous pénétrait à mesure que nous chantions, et je ne pouvais me défendre d’une indicible


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