Vous comprenez, sans que je le dise, mon indignation et la nature des messages sur messages que j ’envoyai au roi. J’allais me rendre moi-même au village, quand je reçus l’assurance qu’on avait délié l’infortuné. Des langues indiscrètes m’ont assuré, depuis, que malgré les ordres du roi on 1 a laiss un jour et deux nuits ainsi crucifié, - trente-six heures ! - Ses plaintes, ses qémissements excitaient l’hilarité de la populace. Ce qui m’indignait, c’est que, il y a quelque temps, le fils d’un mo-Rotsi avait commis un vol bien plus considérable et dans des circonstances bien autrement aggravantes. Pris en flagrant délit et conduit au lekhothla, les chefs les grands chefs ne trouvèrent pas même un blâme à lui admimstrer. e C’est l’enfant d’un mo-Rotsi, dirent-ils, sa faute est la nôtre, nous paierons son amende. » Et l’individu se prélassa sans honte après comme avant. Je n’avais pas besoin de leur amende; mais ces chères gens m’ont épargné l’embarras de l’accepter ou de la refuser. Ne me dites pas que la justice est aveuqle au Zambèze. Elle voit joliment clair. Dans la dernière visite que j ’ai faite au roi, celui-ci est encore revenu sur son thème favori: une école industrielle. 11 est tellement dévoré par lidée d’avoir les garçons que nous avons dégrossis, qu’il soudoie les miens les uns après les autres et d’une manière qui ne lui fait pas toujours honneur. Séfoula, 16 juin 18« Hélas! nous sommes en pleine tourmente. Jamais encore nous ne nous sommes trouvés dans une rafale pareille, si furieuse et si persistante. No re nuit est bien noire, les flots sont terriblement agités, et notre petite nacel e, à chaque vague qui la bat, est bien près de sombrer. Mais non, Jésus est la, nous entendons sa voix : C’est moi, ne craignez pas ! Ce sont toujours les affaires de la Compagnie de 1 Afrique du Sud qui bouleversent les esprits. Sans être un saint Paul, moi aussi j ai mon « Alexandre le forgeron » qui m’a fait et me fait bien souffrir. Il me fallait cette amère douleur et cette dure humiliation, et je prie chaque jour pour que je sois animé de l’esprit de David, qui, dans son malheur, supportait les injures de Simeï, et qui répondait à ceux qui auraient voulu le venger : « Dieu lui a dit. MLetdernTet incidents qui se sont produits me confirment de plus en plus dans la conviction que le traité fait l’an passé avec la Compagnie était la planche de salut, tant pour la nation que pour Léwamka lui-même. Mais, aujourd’hui, nous sommes tout seuls de notre opinon. Nos adversaires qui se «ont posés en champions et en sauveurs de la nation, ont représenté choses bien différemment. Les insinuations, le faux jour jeté sur les faits et les calomnies ont trouvé dans la nature foncièrement soupçonneuse, excitable et vindicative de nos pauvres ba-Rotsi, un terrain riche et ont vite porté leurs fruits de défiance, de menaces et d’insultes. L excitation des chefs de Séchéké est au comble, et le roi lui-même, à tort ou a raison, disait que c’est en partie à cela qu’il faut attribuer les mauvais traitements qu on a fait subir a^M. Raldwin, et que M. Goy a si noblement en partie, du moins — partagés. De sérieux dangers nous menacent. Qu un pitso ait lieu, au retour de Mokouaé, avec les chefs de Séchéké, ou bien qu’une rumeur se répande que la Compagnie veut se prévaloir du traité et pénétrer par la force dans le pays, qu’adviendra-t-il de nous? — de moi? Le roi, lui, me comprend : il est incapable de me faire le moindre mal ; mais il est plus incapable encore de nous protéger. Il tremble pour lui-même: de là sa persistance à rejeter sur moi tout seul toute responsabilité. S’il faut une vie tune pour assouvir la vengeance des ba-Rotsi, il la livrera plutôt que de s exposer lui-meme. Hélas ! il vient de nous en donner une triste preuve. Les missionnaires méthodistes primitifs sont, depuis un an, dans le pays. Les pauvres gens ont eu toutes sortes de contretemps. Ils n’ont pas pu encore apprendre la langue, ce qui nuit à leur popularité. Sous un prétexte des plus futiles, l’un d’eux a ete honteusement et cruellement maltraité chez la reine Mokouae, près de Séchéké '. Cela a naturellement eu un grand retentissement dans la contrée. C’est par Lewanika lui-même que je l’ai d’abord appris. Puis, sont venues 1. J’emprunterai à M. Goy le récit de ce douloureux incident : L a reine avait laissé son palais sous la garde de quelques-uns de ses serviteurs ; or, un soir, un des missionnaires anglais, M. W a rd , entra dans la cour pour parler au x gardiens; le lendemain, il y revint encore, accompagné de son collègue, M. Baldwin; et, voulant lui expliquer comment les ba-Rotsi bâtissent, il traça du pied quelques lignes sur le sable. C’en fut assez pour éveiller la superstition des gardiens, qui accusèrent ces deux messieurs de sorcellerie, et informèrent aussitôt la reine de ce qui s'était passé. Celle-ci, furieuse, voulut ju g e r elle-même un cas aussi grave et manda les accusés auprès d’elle. M. W ard étant retenu par la fièvre, M. Baldwin partit sans lui et, ces messieurs ne connaissant pas la langue indigène, je fus appelé comme interprète dans cette triste affaire. Après quatre heures et demie de voyage en canot, nous arrivâmes à un petit îlot où la reine avait planté ses tentes. A notre première entrevue, elle fut très aimable avec moi; mais elle ne voulut pas saluer M. Baldwin et lui ordonna de sortir de sa présence. Un peu plus tard, cependant, les chefs réunis en conseil nous firent appeler, et je vis tout de suite que les esprits étaient montés contre nous; mais j ’étais loin de prévoir ce qui allait se passer. On ordonna d abord à M. Baldwin de s’asseoir sur le sable, ce qu’il refusa de faire. U demeura debout, et la conversation s’engagea très vive. Tout à coup un chef bondit sur mon compagnon en criant : « Saisissez-le ! » Aussitôt toute une bande sauvage, cinq cents hommes environ, l’entourent, vociférant à qui mieux mieux : * Étranglons-le ! Jetons-le à l’eau I » et autres cris de mort semblables. Voyant qu’on s’apprêtait à mettre le s menaces à exécution, j ’entourai M. Baldwin de mes bras, pensant qu on ne lui ferait aucun mal tant que je serais ainsi cramponné à lui. Mais leur rage était telle, qu’ils se ruèrent sur nous et nous maltraitèrent de toutes les façons pour parvenir à nous séparer. Pendant que les chefs de Séchéké me retenaient, ceux de l’escorte de la reine emportaient M. Baldwin et le torturaient de mille manières. Un quart d’heure plus tard, cependant, il revenait auprès de moi, se traînant à grand’peine : on lui avait tordu les bras et les jambes; il était méconnaissable, ayant la bouche et les y eu x pleins de terre et de HAUT-ZAMBÈZE.
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