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Du reste, de grands changements auront lieu dans cette partie du pays, si, comme on le dit, la reine élit définitivement sa résidence à Séchéké: Je suis triste de clore cètte lettre sans pouvoir vous signaler le moindre symptôme d’un réveil des consciences autour de nous. Nous en sommes encore à déblayer. Et quel travail ! Nous défrichons et nous semons bien, mais la semence' reste ensevelie sous les mottes et étouffée sous les ronces d’un affreux paganisme. Il y aurait de quoi perdre tout courage, si nous ne savions que c’est précisément sous terre, en secret et en silence, que le grain germe. Ce qui nous frappe et nous afflige dans nos chers Zambéziens, c’est leur incroyable légèreté. Ils rient, ils se moquent de tout et de tous. Ils n’ont rien de ce décorum, de cette politesse grave et respectueuse qui fait le charme des rapports sociaux chez les bé-Tchouana en général et les ba-Souto en particulier. J’estime heureux les jeunes gens qui viennent directement d’Europe chez les ba-Rotsi sans avoir fait connaissance avec d’autres tribus. Bien des déceptions et des amertumes leur sont ainsi épargnées. Les ba-Souto, comme les Athéniens, sont tous et toujours à la piste des nouvelles : Taba kè lifè? — Quelles sont les nouvelles? Là c’est la salutation invariable de deux étrangers qui se rencontrent. Ici l’un fuit et se cache de l’autre s’il le peut; le plus fort insulte et pille le plus faible. Vous pouvez venir du bout du monde ; que leur importe ce qui se fait et se dit là-bas ? Léwanika est à ma connaissance le seul — sans exception •— qui vous fasse de ces questions-là. Ici vivre, littéralement, c’est s’amuser. Tout n’est que frivolité, il n’y a rien de sérieux dans la vie, rien. Vous vous informez de la santé de quelqu’un? On vous rit au nez, on se regarde et on se demande ce que vous dites. Allez-y plus directement, demandez si ce quelqu’un s?amuse. Aussitôt on vous répondra avec emphase : « 0 nts’a bapala hanlhlé. — Oui, il s’amuse bien. » Rencontrez-vous quelqu’un qui vient de la capitale? —1 Quelles sont les nouvelles? — A moins que le roi ne soit alité, on vous répond invariablement: « Morénà oa bapala, mërôpa é ntsé è léla; le roi s’amuse et les tambours continuent à battre. » Malheureusement, les devoirs et les responsabilités de la vie subissent cette influence délétère. Les Zambéziens ont peu de joies, et les épreuves qui ailleurs labourent les profondeurs de l’âme et poussent au désespoir ne font guère qu’effleurer ces coeurs vides. Le vol, le mensonge, le meurtre, les atrocités, la corruption sous les formes les plus révoltantes, semblent n’éton- ner personne. On s’amuse, c’est dans les moeurs. Un père dont la fille, placée dans une maison missionnaire, est destinée déjà au harem d’un jeune chef, recommandait à notre frère de ne pas être trop clairvoyant, et de fermer un peu lés yeux sur les rapports de sa jeune fille avec les garçons de SUR LE H A U T - Z A M B È Z E


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