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XLI Encore une séparation. Tristes nouvelles d’Europe. — Maladie de M. Jeanmairet. — Une alerte. —- Séchéké désert. — Partis depuis huit jours. — Une compensation. — Encore un deuil. — Retour à Séfoula. — Temps difficiles. — Pertes de boeufs, de wagons, de bagages. — Hostilités et défiances. — La barque ne chavirera pas. Sénanga, i3 juillet i8go. On a beau dire, on ne s’habitue pas dans ce pays à ces longues absences où chaque pas fait le vide derrière vous. L’an passé, je m’étais bien promis qu’une fois rentré chez moi, il faudrait, pour m’en arracher de nouveau, des raisons majeures et des circonstances plus qu’ordinaires. Me voilà pourtant de nouveau en route, et mon absence de Séfoula va durer encore de deux à trois mois. C’est que la mission se trouve dans une impasse, et, pour ma part, j ’ai rarement eu autant de dilemmes à résoudre. Faut-il, mes chers et précieux amis, vous attrister encore en vous parlant des insurmontables — oui, insurmontables jusqu’à présent - 9 difficultés que rencontre notre roulage de Séchéké à Séfoula? C’est une plaie aux flancs de notre mission et j ’ignore quand et comment elle se cicatrisera.- Elle fait ma douleur et mon désespoir. Au commencement de mars, j ’avais envoyé Franz et Kambourou à Séchéké avec deux wagons et deux attelages en plus des boeufs du pays que je m’étais procurés par échanges, l’un destiné à Séchéké, et l’autre à Kazoungoula. Je me sentais justifié dans cette démarche par le succès d’un voyage précédent. M. Jeanmairet, qui depuis longtemps avait fait le plan de venir nous voir en famille, et qui pour cela avait besoin des services de Franz comme conducteur, crut hâter son retour à Séchéké en lui remettant les deux attelages susmentionnés. Hélas! au Loanja, à l’entrée des bois hantés par la tsetsé, à trois jours seulement de Séchéké, notre vieux wagon de transport s’effondra complètement. Franz dut faire la navette entre le Heu de l’accident et le Ndjoko, pour transporter à petites charges les colis des deux wagons. Ces cohs, c’étaient des objets de troc, des fournitures d’école et de station. A la dernière charge, sur les bords de ce Ndjoko de néfaste mémoire, le second wagon se brisa à son tour. Pour comble de malheur, la mortafité a commencé à décimer les attelages, et Franz, qui est pourtant bien changé, mais qui n’a pas plus d’initiative qu’il en faut, attend là, sur les bords du Njoko, à 200 milles de Séfoula, le secours que, sans wagons et sans boeufs nous-mêmes, il n’est pas en notre pouvoir de lui envoyer. Sur ces entrefaites, outre les orages et les préoccupations politiques qui rendent indispensable ma présence à mon poste, les nouvelles qu’exprès sur exprès nous apportent sur la maladie de M. Jeanmairet deviennent de plus en plus alarmantes. J’avais fait immédiatement dire à Franz de laisser ses charges dans les champs, et, avec une partie des boeufs qui lui restaient encore, d’aller en toute hâte porter secours aux Jeanmairet. J’écrivais en même temps à ma nièce, tâchant de la dissuader de son projet de voyager dans la Colonie du Cap, seule en hiver, avec un petit enfant et son mari malade, et de venir à Séfoula. Nous pensions qu’un changement d’air, même au Zambèze, un repos complet et des soins assidus pourraient, avec la bénédiction de Dieu, rétablir mon neveu. Malheureusement, ma lettre se croisa avec un exprès nous informant que l’état de M. Jeanmairet allait s’aggravant, et, comme un chasseur anglais avait mis au service de ma nièce son wagon et ses boeufs pour quitter immédiatement le pays, celle-ci me demandait instamment de lui envoyer Franz, le seul conducteur que nous ayons dans la mission. Elle le croyait depuis longtemps de retour à Séfoula !... Que s’est-il passé à la suite de tous ces messages croisés et depuis les dernières nouvelles si alarmantes datées des 26 et 28 mai? Une profonde obscurité s’est abattue sur nous. Puis il nous a semblé qu’il était impérieux que j ’allasse moi-même à Séchéké, juger de visu de la situation. Donc plus d’hésitation. M. Waddell, avec ma wagonnette conduite par Karoumba1, ira remettre sur pied, si possible, nos vieux wagons, et passera outre pour me rencontrer à Séchéké, pendant que je descendrai la rivière en canots. Le roi, cette fois encore, s’est montré digne de lui-même. Nous venions de le quitter. Il s’empressa néanmoins de venir passer quelques jours à Séfoula, go laéletsanay une grande affaire chez les ba-Rotsi, où, en se crachotant mutuellement au visage, on se donne les dernières recommandations et on se dit adieu. Les chrétiens, eux, se recommandent réciproquement « à Dieu et à la parole de sa grâce ». Léwanika n’en est pas encore là. Mais cette considération de sa part et ce témoignage d’amitié ne m’en sont pas moins précieux. Il a, vous le savez, le monopole des grands bateaux, et, quoi que je fasse, impossible de m’en procurer. Lui-même, le pauvre homme, ne peut satisfaire à toutes les demandes. Il lui en faut, et pas mal, pour le service de son harem; il lui en faut aussi pour la chasse, pour la pêche surtout, il lui en faut encore pour le service public et les éventualités ; de sorte qu’il est souvent 1. A défaut de boeufs, on dressera quelques gros veaux en route, la wagonnette est légère.


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