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heureux, toi !» — « Et pourquoi ne le serais-tu pas aussi ? » lui répondit celui-ci. Pendant que nous étions ainsi en fête dans l’église, nous passions par des agitations politiques et des temps de grande anxiété. Vous savez la formation de la grande Compagnie du Sud de l’Afrique. Elle a reçu du Gouvernement britannique une charte qui en fait une puissance comme celle de la fameuse Compagnie des Indes. Elle a déjà étendu son protectorat sur le pays des ma-Tébélé. Elle envoyait aussi une expédition pour traiter avec Léwanika, et qui devait ensuite se rendre chez Msidi (Mosili), où travaille notre frère Arnot, et de là gagner le lac Nyassa et l’embouchure du Zambèze. Cette expédition, pour une raison ou pour une autre, se démembra en arrivant au Zambèze, et son chef seul, M. Lochner, avec un domestique, atteignit la Vallée, malade et dénué de tout. Lui offrir l’hospitalité à Séfoula, c’était un devoir qui s’imposait. M. Lochner est, probablement, plus fait pour la vie des camps que pour la diplomatie. Son arrivée dans le pays fut le signal, ou l’occasion, de menées et d’intrigues incroyables. Des.gens malintentionnés répandirent le bruit, dans la province de Séchéké, que les missionnaires ^¡cela me visait droit au front, moi — avaient déjà induit Léwanika à vendre une partie de son pays, et qu’ils s’apprêtaient eux-mêmes à vendre le reste. Cela courut comme le feu d’une prairie. Les soupçons - S c’est le faible du caractère indigène — et le mécontentement général, celui des chefs en particulier, furent excités, attisés à tel point que nous pouvions nous attendre à tout, même à une révolution, à être nous-mêmes maltraités et expulsés du pays. Les chefs de Séchéké parlaient haut. Des messagers secrets, car rien ne se fait ouvertement ici, se succédaient sans cesse à Léalouyi, et tout présageait une opposition violente. Au milieu de toutes ces intrigues, le pauvre Léwanika, par moments, semblait tout éperdu. M. Lochner lui-même, dès l’abord mal conseillé, croyait de bonne politique de semer ses présents avec largesse. Les ba-Rotsi acceptaient tout avec empressement, riaient sous cape, et, derrière son dos, se moquaient de lui en disant : « Le simple homme, nous le comprenons, il essaie de se tailler un chemin dans notre jungle ! » Le roi lui-même, excité et aigri, ne se montrait pas sous le meilleur jour, et ses rapports avec M. Lochner menacèrent plus d’une fois de se brouiller tout à fait. Je dus, à mon tour, parler haut et menacer le roi de me laver les mains de ses affaires, s’il ne les traitait pas avec plus de dignité et de droiture. Je lui donnais en même temps des conseils. Ces conseils^ il les suivit. Il sentit, comme il le dit lui-même, qu’ils venaient de son meilleur ami. Il offrit au représentant de la compagnie, comme présent de bienvenue, quatorze boeufs de boucherie, refusa en même temps, avec politesse, les présents assez considérables que celui-ci le pressait d’accepter, et le pria d attendre jusqu’à ce que les affaires fussent traitées. C’était sage de sa part. En même temps il vint à Séfoula, avec Mokouaé et bon nombre des principaux chefs, passer quelques jours, à l’invitation de M. Lochner, sous prétexte d’assister à une fête que celui-ci, en vrai Anglais, voulait donner en l’honneur de la reine d’Angleterre. Le 24 mai était passé; nous étions au commencement de juin. Peu importe, M. Lochner tua trois ou quatre boeufs, et, le soir, après ma petite séance de lanterne magique en l’honneur de la visite des autorités du pays, il nous donna le spectacle de feux d’artifice. A la première fusée il y eut une commotion générale, et je commençais à craindre une débâcle et des accidents. Mais le calme se rétablit vite, et chaque fusée, chaque chandelle romaine, chaque feu de Bengale, tous plus merveilleux les uns que les autres, fut salué d’exclamations mal contenues, d’étonnement mêlé de stupeur. On le comprend, le vrai but de la visite du roi était plus sérieux. Il s’agissait, pour lui et ses conseillers, avant la grande assemblée nationale qui allait être convoquée, de bien s’éclairer sur la question palpitante du jour. Je le désirais non moins qu’eux, et pour cela j’avais traduit par écrit tous les documents. Le 20 juin, le pays étant submergé, les canots du roi vinrent nous chercher, M. Ad. Jalla et moi. — M. Lochner, à ma suggestion, nous avait devancés de quelques jours. Il importait d’éviter tout ce qui pouvait, aux yeux des natifs, nous identifier avec sa mission. Le pitso, ou assemblée nationale, et le conseil des chefs durèrent cinq jours, et cinq jours bien remplis. Nous nous attachâmes, M. Jalla et moi, à bien mettre l’accent sur le caractère définitif et perpétuel de la concession, sous certaines conditions. Tant dans l’assemblée de la nation que dans le conseil des chefs, je m’appliquai à bien définir la différence entre la concession de l’an dernier, qui a passé aux mains de la Compagnie, et celle dont il s’agissait maintenant. Je tançai vertement, avec toute l’autorité qui m’appartient, les chefs de Séchéké qui étaient présents, le roi lui-même et ses conseillers, qui prêtent l’oreille au premier venu quand il s’agit des affaires de la nation. J’en avais le droit. Quand je protestai de ma nationalité et de mon désintéressement dans ces transactions, on me répondit de divers côtés : « Oui, oui, nous le savons, tu n’es pas Anglais, tu es Français, tu es notre morouti, notre père, et tu veilles sur nos intérêts. » — Je les exhortai à ne pas accepter et à ne pas rejeter aveuglément les propositions qui leur étaient faites, mais à faire à M. Lochner et à moi-même toutes les questions qui les préoccupaient. On en fit de bonnes, d’intelligentes, on en fit aussi de ridicules. Mais il était évident que l’opinion générale était en faveur du protectorat de la Compagnie. S’il est un homme qui comprît parfaitement la situation, c’est certainement Léwanika lui-même, et c’est sur lui et sur son conseil que doit reposer toute la responsabilité de ces importantes


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