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source qu’elles viennent d’ailleurs, sont en vigueur chez les ba-Rotsi et strictement observées. Il en est d’autres aussi que l’usage a établies. Une femme, par exemple, a-t-elle une fausse couche? On la laisse dans les champs sous un misérable abri où elle vit dans un isolement complet et mange la maigre pitance qu’on lui apporte chaque jour. C’est ainsi qu’elle est séquestrée jusqu’à la nouvelle lune. Pour la même raison, le mari est confiné dans la cour de sa maison : tout commerce lui est interdit avec ses voisins, de même que toute visite à son bercail et à ses champs. On craint qu’il n exerce quelque influence malfaisante sur les hommes, les bêtes et les choses. Donc, toute la communauté veille à ce que la coutume soit rigoureusement observée. A la nouvelle lune, on le fera passer, lui et sa femme, par certaines lustrations, et, après s’être purifiés à la rivière, ils reprendront seulement alors le train ordinaire de leur vie. Karoumba s’est dernièrement trouvé dans ce cas, et lui et son ami Séajika se sont ponctuellement conformés à la coutume du pays. Tout un mois durant, Karoumba est resté prisonnier chez lui sans que son ami, passant devant sa porte vingt fois par jour, osât même le saluer. Les idées d’humanité, de justice et de bonté font cependant leur chemin. Je vous ai déjà dit les efforts que Léwanika fait pour étouffer la sorcellerie et les crimes qu’elle enfante. Dernièrement, sa sincérité fut soumise à une rude épreuve. Pendant qu’il était à la chasse, un de ses serviteurs les plus fidèles, affairé par le prochain retour de son maître, pensait à ces mille et un détails qui échappaient aux autres. Ses compagnons, jaloux de la faveur dont il jouissait, avaient juré sa perte. L’occasion était trouvée. Pourquoi cet air affairé, ces allées, ces venues là où les autres n’osaient pas même entrer? Ils portèrent accusation auprès du vieux Narouboutou, le conservateur des vieilles coutumes. Après l’administration fatale du poison aux poules, le vieillard se déclara parfaitement convaincu. « Hâtez-vous, mes enfants, disait-il, et faites justice de ce sorcier avant le retour du roi. » Recommandation bien gratuite à des gens pareils. Monaré, le serviteur inculpé, averti à temps, se sauva et se réfugia chez nous. Il nous conta son histoire ; nous le reçûmes, bien déterminés à le sauver. Messagers sur messagers ne tardèrent pas à venir demander que je livrasse la victime. — « Pas plus, leur répondis-je, que je ne vous livrerai quand votre tour arrivera, si vous vous réfugiez chez moi. Nous aussi, nous sommes des Natamoyo, des ministres de salut. » Je ne sais jusqu’à quel point mon argument porta. Ils respectèrent du moins assez mon autorité pour ne pas faire main basse sur Monaré qui était à mes côtés, expliquant sa conduite. Des jours se passèrent, le roi revint de la chasse. Nouveaux messages et sommations, nouveaux refus. « Tu me demandais un jour; répondis-je au roi, ce que j ’eusse fait au cas où tu te serais réfugié chez moi et que Mataha m’aurait sommé de te livrer. Tu sais ma réponse. Le cas de Monaré est le même. » Au bout d’une huitaine de jours de pourparlers et de protestations de la part du roi, jurant qu’il répondait de la vie de Monaré, j ’envoyai celui-ci sous la garde de Litia, avec injonction de le faire échapper de nouveau au signe du moindre danger. Mais le roi tint parole. Il confronta publiquement Monaré avec ses accusateurs, démêlant sans peine et exposant la jalousie de ceux-ci, qui, une fois de plusj avaient failli le priver d’un de ses meilleurs serviteurs. Il les tança vertement, se félicitant publiquement d’avoir en ses missionnaires des hommes humains qui le secondaient; puis, s’adressant à Monaré : « Tu iras dans ton village, au milieu de tes enfants, et je verrai qui de cette canaille-là fera ton travail et prendra ta place. » Ainsi se termina l’incident. Même progrès pour la question de l’esclavage. Récemment, un homme amenait un boeuf à son chef: « J’ai besoin d’un homme, dit-il, procure-m’en un, en voici le prix. » — « D’où viens-tu donc, lui répondit le chef, que tu crois que sous Léwanika on achète encore des esclaves? » En effet, l’an passé, — on s’en souvient, — des ma-Mbari, marchands noirs de Benguela et du Bihé, avaient acheté un certain nombre d’esclaves pour de la poudre, de la verroterie et des étoffes. Au moment où ils se disposaient à partir, Léwanika les fit arrêter, leur enleva leurs esclaves et confisqua leur ivoire. Il craignait même d’avoir été trop loin et me demandait mon avis. On le devine. Le fait est à noter, maintenant que l’influence britannique va pénétrer dans le pays. Notre pauvre Léwanika ! pourquoi faut-il donc qu’il s’arrête en si bonne voie? Un jour qu’il était des nôtres et que nous chantions des cantiques au choix de chacun, je lui demandai d’en choisir un aussi. — « Un! dit-il, mais tous sont pleins de Jésus ! Prenons celui du Motsouallé oa Moréna (l’ami du Seigneur, dans le cantique: Litaba tsé gnu imélang). » On fait parfois une curieuse application des idées religieuses. Assistez, si cela vous intéresse, à l’achat d’un boeuf qu’un homme amène de loin. Le prix, déjà fixé par l’usage, est vite établi, et le marché va être conclu. « Mais, remarque incidemment un de nos jeunes gens, ton boeuf boite! » — « Oui, dit le vendeur, il boite effectivement. A vrai dire, il boite depuis notre expédition chez' les ma-Ghoukouloumboué. Il s’était un moment guéri, puis s’est remis à boiter. » -L- « Vraiment? » dis-je à mon tour. — « Oui, vraiment. » — « Mais, mon ami, je ne puis pas acheter un boeuf qui boite. » Le pauvre homme vit qu’il s’était blousé, comme on dit. Sans se déconcerter le moins du monde, il repartit : « Mon boeuf ne boite pas, regarde! » — « Ne viens-tu pas de dire devant tous qu’il boite depuis votre retour de chez les


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