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Le nouvel an à Séfoula. — Une fête d’école. — Hôtes royaux. — La lanterne magique. — L’influence européenne. — Progrès sociaux. — D'où viendra le secours ? — Un anniversaire. Séfoula, 6 janvier 1890. D’un bond nous voici en plein dans une nouvelle.année! Que de pensées, que de réflexions se pressent dans mon esprit et courent sous le bec de ma plume ! Le grand événement de notre petit monde, c’est notre fête d’école du jour de l’an. On en parlait beaucoup autour de nous, de cette fête. J’avais peu d’entrain, et ma femme était malade. Je redoutais un fiasco. Mais c’est étonnant comme le devoir vous maîtrise et vous pousse. 11 vous force parfois même à vous oublier, ce qui est une grande bénédiction. Le roi me signifia son intention de venir avec une foule de gens. Il m’écrivait la veille dans un style amusant : « Je suis un grand roi, j’arrive avec quatre de mes princesses (ses femmes), avec de grands personnages et une suite nombreuse. Aussi je me demande comment tu vas t’en tirer pour recevoir dignement toutes ces foules. » En effet, nous sommes envahis, et ce n’est pas peu dire quand il s’agit de gens sans discrétion. Le roi m’a gracieusement envoyé un boeuf, je lui ai rendu le compliment en lui en offrant un des miens. J’en ai abattu deux -autres, puis, avec une distribution libérale de millet, de farine de manioc et de lait caillé, nous avons réussi à faire face aux exigences de l’hospitalité. Le jour de l’an, après un court service, nous eûmes un examen public se composant surtout de lecture, chants et récitations. Léwanika, son livre à la main, suivait la lecture avec un grand intérêt, reprenant ici, encourageant là, car les examens, si insignifiants qu’ils soient, rendent nerveux même les enfants du Zambèze. Suivit une distribution générale d’étoffes, livres, cahiers, jouets, puis vinrent des jeux pleins d’entrain et dont notre ami Waddell était l’âme. Il essayait même d’enseigner à nos élèves le cricket, le fameux jeu national britannique. Un repas copieux, et, le soir, une exhibition de la lanterne magique, close par un coup de canon1, terminèrent cette belle journée. Tout i . Un canon ! de petit calibre, mais un canon quand même, que des marchands portugais avaient apporté et vendu au roi ; celui-ci n’en avait cure, et le laissait sur la place à moitié enfoui dans le sable et le jouet des enfants. Je l'obtins sans peine et l’emportai à Séfoula. Mon canon 1 s’est passé calmement et naturellement. Après la distribution de nos cadeaux, Léwanika, qui n’est rien moins qu’orateur, a harangué la foule qui se pressait devant notre véranda, et a surtout tancé nominativement certains chefs qui n’ont pas encore envoyé d’enfants à l’école. La reine Mokouaé n’est arrivée que le lendemain, en grand style elle aussi, — elle est une grande reine ! Donc la fête s’est prolongée en son honneur. Nous avons même eu une deuxième séance de lanterne magique, une des mieux réussies que j ’aie encore eues. C’est la première fois que j ’ai pu intéresser mes gens à des choses sérieuses. C’était beau, au lieu du calme plat d’autrefois, d’entendre nos enfants s’écrier à l’envi : « Oh! c’est Abraham offrant Isaac en sacrifice! Voyez donc les liens, le couteau, l’ange, le bélier! » — « Regardez donc, c’est Joseph,il songe...on le vend!...il est en prison!... Et ce grand seigneur, c’est encore lui, Joseph... » Cette soirée m’a fait du bien, elle m’a encouragé. Le dimanche, notre temple était comble, l’auditoire était si pressé, si compact, que nous l’avons estimé à 5oo personnes à peu près. C’est la première fois que je montais dans ma chaire de roseaux. Je n’en ai jamais occupé de plus confortable, même en Europe. Mokouaé, et avec elle bien d’autres aussi, s’étonnaient fort que je ne la partageasse pas tout au moins avec « le roi, mon frère et mon ami s. Le roi, lui, était troublé par d’autres pensées. Il ne pouvait admettre que les femmes entrassent avec les hommes dans cette maison. « Impossible! me (lisait-il, elles s’assiéront dehors, se grouperont aux fenêtres avec Mokouaé et mes femmes, , et nous, hommes, nous remplirons l’église. — Non, non, lui dis-je, la maison de Dieu est pour tous, et les femmes occuperont comme toujours le côté qui leur est réservé. » Il argumenta, claqua de la langue, mais vit bientôt qu’il n’avait rien à gagner. J’avais souvent discuté la question chez lui sans résultat; ici, j ’étais chez moi. Du reste, le coup d’oeil que présentait la congrégation était de nature à frapper quelqu’un de plus blasé. Mokouaé, quelques-unes de ses soeurs, les femmes du roi, et nos quinze ou seize jeunes filles, toutes vêtues de robes aux brillantes couleurs, formaient auprès de M"' Coillard un groupe intéressant, tandis que bon nombre de femmes qui ne peuvent ou n’osent pas encore s’habiller à l’européenne, avaient ceint sur leurs têtes le mouchoir dont les hommes réclament encore l’usage exclusif. Le roi en parut frappé. Quand nous entrâmes, ses vieux courtisans donnèrent le signal, et toute l’assemblée se mit à frapper des mains. Je fus vite sur les degrés de la chaire, et imposai silence, leur rappelant que c’était là la maison de Dieu, où l’on ne connaissait que Lui seul, et qu’une fois sortis du service, ils pouvaient à coeur joie faire honneur à leur roi. Je lis ensuite décoiffer tous les hommes. Les bonnets de


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