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ceau de terre rouge devenue de la boue.' En le grattant, on y trouve des lambeaux d’étoffe, tristes échantillons de robes et de vêtements qui n’existent plus, des bobines de coton, de la mercerie, des graines à tous les degrés de décomposition, des livres aussi, dont les feuillets, rongés et illisibles ne peuvent pas même rappeler les noms des amis qui les ont envoyés. En voici une autre. C’est de la papeterie qui n’a pas été mieux respectée, et qui dépasse toute description. Une troisième et une quatrième, ce sont des provisions. Les confitures ont fermenté et coulé; cette masse toute noire et nauséabonde, ces boîtes de fer-blanc rouillées à jour, d’où découle une encre dont l’odeur vous repousse, c’est du riz, c’est du macaroni, du vermicelle, des choses de luxe, pour les temps de convalescence. En voici d’autres encore... Mais non, jetons à la voirie tout cela, et ces fruits secs fermentés, et ces biscuits pourris, tous ces déboires sans noms, dont le transport seul nous a coûté tant de soucis, tant de peine et surtout tant d’argent. Oublions- les si possible. Ce n’étaient pas des nécessités, puisque notre bon Père nous les refuse. Arrêtons-nous à loisir devant ces caisses bien faites, soigneusement soudées, et qui n’ont pour nous que des surprises et de la joie. — Voici en effet des vêtements aussi frais que s’ils venaient directement du Bon Marché et de la Belle Jardinière, des provisions de toutes espèces en parfait état. Voilà des matériaux de photographie, des envois précieux de quelques réunions de couture, et de nombreux souvenirs d’amis personnels. Il y a de quoi nous confondré, en faisant déborder nos coeurs de reconnaissance. Dieu est bon. Au milieu de nos déballages, un messager de Franz est venu m’annoncer que mon wagon s’est effondré au Loumbé, à mi-chemin de Séchéké. Une des roues s’est complètement et irrémédiablement brisée. Et pas de roue de rechange! Tous nos wagons sont en piteux état. Les deux que j ’ai achetés à Natal à mon retour d’Europe — et celui-ci en est un — sont complètement finis. Le climat les dessèche et les disloque, le sable et la pluie font le reste. C’est désolant. Il nous faudrait des chariots légers tout en fer, comme on en fait en Angleterre. Dans le cas présent, la seule alternative qui nous reste, c’est d’envoyer notre ami Waddell pour remettre de son mieux le wagon sur pied et l’amener ici. La question de nos transports, de Séchéké à Séfcula surtout, sera toujours une montagne : les chemins sont peu praticables, les boeufs meurent, les voitures se brisent. Mais qu’on se le dise bien, la voie du fleuve sera longtemps encore un pis aller, un moyen tout à la fois peu sûr et très dispendieux. Je vous laisse à penser ce que peut être la charge d’une pirogue de — en moyenne — 25 à 3o pieds de long, par un pied et demi, deux pieds tout au plus à sa plus grande largeur, surmontée de quatre ou cinq hommes, six même, encombrée du petit bagage de chacun d’eux, et des provisions de bouche d’un long voyage. J’avais les canots du roi, le sien propre qu’il ne prête à personne, mais on ne peut pas toujours y compter. Cette difficulté-là aussi, comme tant d’autres, s’aplanira. J’en suis certain. En terminant, aimeriez-vous que je vous communiquasse une petite lettre de bienvenue que Léwanika m’écrivait à mon retour ? « Je te salue, me disait-il, je te salue d’un coeur joyeux, puisque j ’apprends que tu es de retour et en bonne santé. Ici il y a, comme toujours, beaucoup de malades ; mais moi je me porte assez bien. Je me réjouis de ce que tes bagages sont arrivés sans accident. J’avais grand’peur qu’ils ne se mouillassent. Tes bateliers sont venus en corps me saluer et chouaéléla. Ils avaient tous mis leurs couvertures blanches de coton, les setsiba de calicot, et les mouchoirs rouges que tu leur as donnés. En les voyant, tout le monde a dit : « C’est cela, on voit bien qu’ils ont voyagé avec le morouti ! » Mais moi qui savais par toi ce que tu leur as donné, je remarquai qu’ils en avaient caché une partie. Je leur ordonnai d’apporter le tout au lékhothla, les menaçant de leur confisquer tout, s’ils agissaient avec ruse. Je voulais que tout le monde vît que tu paies bien les gens qui te servent. Ils m’ont obéi, et je les ai réprimandés. Les ba-Rotsi sont des menteurs. « Quant aux affaires, ici, elles ne manquent pas. Il y a trois questions qui me préoccupent surtout : celle des sorciers, celle de la bière et celle des adultères. Les ba-Rotsi d’autrefois, nos pères, ne brûlaient pas les sorciers; ils respectaient les femmes d’autrui et ne connaissaient pas la bière. C’est aux ma-Kololo que nous devons tout cela. J’ai convoqué un pitso. Si les ba-Rotsi n’entendent pas raison, c’est dire que je ne suis plus leur roi, et que je ne suis plus rien. Dans ce cas, il y aura du trouble, car je suis déterminé à agir. Les ba-Rotsi me tueront-ils ? ou bien me chasseront-ils du pays ? '“ ÿ u le sauras bientôt. Peut-être que ton Dieu que tu pries entendra. Je n’ai pas peur d’une révolution; arrive que pourra. Mais si je suis en vie, et si je suis le roi du pays, il faut que j ’extermine le jugement des sorciers (qui se fait par l’eau bouillante, le poison et le feu), l’adultère, le vol et l’ivrognerie. « Likokoane me tourmente, il veut épouser une seconde femme. Je m’y oppose. Sépopa, lui aussi, est toujours après Mondé, sa soeur (sa cousine). Il n’abandonne pas son mauvais train. C’est Sasa qui le pousse au mal. »


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