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tant pu le sauverfijf- Acheté deux canots de Matomé. Il y a longtemps qu’il me les avait promis. Et, bien qu’il eût obtenu l’autorisation du roi, et qu il se fût entouré de toutes les précautions possibles, il avait cru nécessaire de les cacher dans un îlot, au milieu, des rapides, et quand il me vit entouré des jeunes princes et des chefs ba-Rotsi, ce n’est pas sans grande hésitation qu’il me les amena. Ils ne sont pas fameux, mais ils seront commodes. Comme disait le père Bost : « Quand on n’a pas ce qu’on aime, il faut aimer ce qu’on a. » — C’est sage. Samedi, 20 juillet. Journée malheureuse. Litia partit dès le matin pour la chasse avec quelques hommes, et je lui donnai rendez-vous au confluent du Ndjoko, où nous pensions arriver de bonne heure. Il faisait un froid si vif qu’à 8 heures et demie les hommes ne pouvaient plus tenir leurs pagaies. Nous poussâmes cependant de l’avant et arrivâmes bientôt aux rapides de Bomboé. Là se trouve un passage plus difficile que dangereux. Mes hommes en eurent peur, et jetèrent les yeux sur un autre passage loin du rivage, où le courant était plus profond, mais aussi plus fort. Un grand canot s’y aventure, une fausse manoeuvre se fait et le canot, emporté comme une paille, est bientôt enclavé dans les rochers. Tout le monde a conscience du danger ; chacun se croit plus sage que son voisin; ce sont des ordres et des contre-ordres, si bien qu’en un clin d’oeil je vois ces terribles moutons blancs s’élancer avec fureur sur la pirogue, l’envahir et la faire sombrer. Les hommes à portée se jettent sur lé bagage qui surnage et sauvent ce qu’ils peuvent. Mais que m’importe cet insignifiant bagage ! C’est le canot qu’il me faut. Le croirait-on ? Pendant que cet accident absorbait mon attention, la plupart des autres canots avaient passé ailleurs, et tous les hommes, en aval, accroupis sur les rochers, nous regardaient en ricanant. Il me fallut faire acte d’autorité pour rassembler une dizaine d’hommes et les mener à la rescousse. J’avais moi-même trouvé mon chemin jusqu’au Heu du désastre et je dirigeais les opérations. Je voulais dégager la pirogue et la remettre à flot. Nous la poussons d’avant, de derrière, en l’air. Et quand nous essayons de la soulever, les deux côtés, brisés déjà par la violence du courant, nous restent dans les mains. Le naufrage était complet. Cela me rappela mes tristes aventures du Ndjoko. Mes Zambé- ziens, eux, commencèrent alors à se disputer en règle. Ils se montraient du doigt', criaient à tue-tête, et je vis le moment où là, au milieu des rapides, ils en viendraient aux mains. Je rétablis non sans peine le silence. Une heure après, notre vie nautonière avait repris son courant, comme les rapides sur notre naufrage. On causait, on prisait, on riait, et si on parlait encore de notre malheur, c’était pour se prodiguer des condoléances mutuelles, cc Changoué, ké noka, changoué ! Ah I mon frère, c’est la rivière! Le canot était vieux et pourri ! » Les « changoué » pleuvaient de tous côtés. Les plus coupables étaient les plus flattés. J’étais indigné. C’est un principe admis ici qu’il faut à tout prix se-concilier celui qu’on redoute ou qu’on offense; autrement, gare les représailles, la javeline de la prochaine révolution ou le bûcher des sorciers. Ngamboé, 22 juillet. Hier, délicieux dimanche passé sur un bel îlot. C’est de règle que tous les matins, au lever, nous nous réunissons pour la prière; puis on abat la tente et on charge les canots. Le soir, de même, les préparatifs du bivouac terminés, on se groupe autour de mon feu pour chanter des cantiques, répéter une partie de la parole de Dieu et prier. Mais nos Zambéziens ont pour la prière une aversion invincible, et ils ne manquent jamais de prétextes pour l’esquiver. Le dimanche, pas d’excuse possible. Donc tout le monde est là. Je me suis senti heureux en leur expliquant la bonne nouvelle du salut. Une conversation de la veille sur les notions religieuses des ba-Rotsi, si captivante qu’elle s’est prolongée jusqu’à une heure avancée, nous y avait préparés les uns et les autres. 23 juillet. Hier, le canot de Kaïba a failli sombrer. En descendant un rapide, il donna du bord au courant. En un instant les moutons blancs bondirent dessus et le remplirent d’eau. Un petit gamin de son âge, qui ne quitte jamais Kaïba et qui se trouvait tranquille à ses pieds, eut la présence d’esprit de se jeter à l’eau, de soulever le jeune prince et de le déposer sur un rocher à fleur d’eau. Les hommes qui se trouvaient à portée volèrent au secours, remirent la pirogue à flot, péchèrent les fourrures graisseuses, qui en furent quittes pour cette petite lessive. Aujourd’hui, même accident aux rapides de Lochou. Gela me rend un peu nerveux. Je ne tremble certes pas pour ma vie, mais bien pour celle de ces garçons qui me sont confiés. Et je ne suis pas le seul. Le danger passé, on amarra les bateaux, et tout le monde à la fois et à qui mieux mieux de tancer l’équipage de Kaïba. Il le méritait bien. Un autre incident vint heureusement faire bientôt diversion à nos émotions. Litia, qui a reçu de son père un beau Martini, nous avait devancés et venait d’abattre deux belles antilopes. C’était son premier coup de gros gibier. Aussi le cher garçon ne se possédait pas de joie. Les compliments pleuvaient sur lui comme HAUT-ZAMBÈZE. 4 1


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