rivage le déjeuner que notre bonne ménagère nous avait remis la veille, quand la reine Mokouaé fit son apparition, suivie de son inséparable Mokoué-Tounga, qui lui sert de mari. Aussitôt nos hommes de se mettre en position et de faire un étourdissant salut. Ne les dirait-on pas les sujets les plus fidèles du monde? J’étais pris par surprise, car c’est chez elle, après avoir satisfait notre appétit, que nous nous proposions de lui présenter nos hommages. Sa Majesté, accoutrée d’une robe d’indienne, d’un châle et d’un mouchoir qui lui pend du cou, s’accroupit sur une natte près de celle qui nous sert de table. Elle inspecte nos mets, un regard suffit : « — Que mange le morouti? fit-elle. Un oiseau? » Mokoué-Tounga se fait son écho : « La reine demande ce que mange le morouti; est-ce un oiseau? — Non, mon maître, c’est un poulet! » Et l’écho répète : « C’est un poulet! » — « C’est dommage, fit Mokouaé avec humeur, la reine ne mange pas de poulet. » Par politesse, je lui offre ce que nous buvons nous-mêmes, une tasse de café noir et sans sucre. « C’est bien, donne ! » Et la pauvre femme, par politesse elle aussi, de l’avaler non sans efforts et sans grimaces. Son fils Kaïba doit nous accompagner et, bien qu’il sût mon départ depuis trois semaines, il n’est pas prêt. Ce serait vulgaire qu’il m’attendît. Il lui faut au moins trois jours de préparation. Je lui donne jusqu’au lendemain matin. Mokouaé sourit d’un air incrédule; je souris aussi et nous parlâmes d’autre chose. Nous allâmes ensuite inspecter des canots neufs que l’on conduit au roi, et qui avaient déjà passé le port de Nalolo sans qu’on eii avertît la reine. Irritée de cet affront, elle les avait fait revenir. Elle parla haut. Les hommes, conduits par un chef hautain de sa nature, avaient tous l’air pétrifiés. Ils rampaient devant cette femme; ils balayaient la poussière de leurs fronts, et recevaient humblement et en frappant des mains les reproches mérités de leur maîtresse. Celle-ci accapara deux des meilleures pirogues, accepta, comme amende, les paniers de provisions que les mécréants s’empressaient de lui offrir, et puis les congédia. Pour justifier sa conduite qui, je le savais, n’avait rien d’arbitraire, elle m’expliqua la coutume du pays. Quand les tributs de la reinè passent à Léalouyi, on doit d’abord les présenter au roi, qui en prend ce qu’il veut. De même aussi, quand ceux du roi passent à Nalolo, Mokouaé en a le premier choix. « Mais, ajouta-t-elle avec aigreur, tout change maintenant, et cette gent noire-là se donne des airs, et voudrait nous ignorer. » — Tout en causant, nous étions arrivés au village, où nous restâmes assez longtemps. Elle nous donna une bonne quantité de lait caillé et deux boeufs qu’on abattit, et que mon monde passa presque toute la nuit à dépecer et à griller. Le soir, nous retournâmes prendre congé d’elle. Je m’aperçus qu’elle mettait tout en oeuvre pour exploiter mon compagnon de route ; mais, comme ma présence la gênait visiblement, je retournai seul au bivouac. Elle voulait, en SUR LE H A U T - Z A M B E Z E .
27f 90-2
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