jette un os à un chien. Il s’ensuivit une fusillade de petits discours contradictoires et sans but. Je souffrais de voir les chefs vénaux et, déjà gagnés, laisser divaguer les pauvres gens. Je pris sur moi de leur expliquer de mon mieux de quoi il s’agissait. Je doute que j ’aie été goûté des chefs qui m’entouraient. N’importe. Les discours prirent une forme plus raisonnable, et, à travers les labyrinthes de la logique africaine, ils arrivaient presque tous aux mêmes conclusions. « Nous avons des missionnaires pour nous instruire, et ce qu’il nous faut, maintenant que M. Westbeech est mort, c’est un marchand qui nous apporte des vêtements, achète notre ivoire et s’en retourne chez lui. Qui sont ces blancs? D’où viennent-ils? Qui les envoie? Qui leur a dit qu’il y a de ce minéral rouge dans notre pays? Etes-vous bien sûrs, chefs, que leurs présents sont de bonne foi, et qu’en les acceptant vous ne vendrez pas notre pays? » — Et les chefs autour de moi de rire. Ce n’était qu’une farce, que l’on répéta le lendemain. J’avais la fièvre. Je pus cependant prendre part au grand conseil des chefs où les affaires se traitèrent un peu plus sérieusement. La concession accordée, il s’agissait d’en déterminer les termes. Il suffit de dire que la concession est pour vingt ans, qu’elle comprend tout le pays des ba-Toka, tributaires des. ba-Rotsi, à l’est de la petite rivière Madjilé et du Zambèze, jusqu’au pays des ma-Choukouloum- boué. C’est immense, et M. Ware a lieu de se féliciter d’un si grand succès. Je crois cependant que les intérêts de Léwanika et de la nation n’ont pas été sacrifiés. — Il est probable que d’autres Compagnies minières — il y en avait plus de quatre-vingts l’an passé pour exploiter l’Afrique du Sud ! — essaieront aussi d’obtenir quelques lambeaux de la contrée, car la région des Rapides jusqu’aux chutes de Ngonyé ne manquera pas de les amorcer irrésistiblement. Une Compagnie commerciale essaie aussi, par des offres assez séduisantes, d’obtenir le monopole du commerce. Elle se proposait de mettre de petits vapeurs sur le Zambèze, de canaliser les Rapides ou d’y construire un petit chemin de fer, et, sans parler du reste, d’établir avec Mangouato des communications postales bimensuelles ! Pensez donc ! Léwanika eut le bon sens de refuser ce qu’il n’était pas en son pouvoir de concéder. Mais il invita cette Compagnie à établir des comptoirs dans son royaume, lui promettant, comme à tout marchand honnête, son appui et sa protection. Voilà donc les premières vagues de la marée envahissante de l’immigration européenne qui franchissent le Zambèze. Où s’arrêteront-elles? XXXVII Un voyage de Séfoula à Séchéké. — Le départ. — Nalolo et la reine Mokouaé. — Un terrain dur. — Gomment atteindre les femmes zambéziennes. — Séoma et les ma-Khalaka. — Un anniversaire. — Entretiens du bivouac. — Séchéké. — Kazoungoula. ifSEn conférence. Le retour. — Une lettre de Léwanika. 14 juillet 1889. La nécessité d’un voyage à Séchéké s’imposant, nous prîmes courageusement notre décision, et j ’activai mes préparatifs. Le roi me prêta son concours de bonne grâce, choisit mes canots, rassembla mes pagayeurs, qu’il plaça sous les ordres d’un chef et d’un sous-chef et, quand tout fut prêt, il vint à Séfoula me présenter ma petite flottille et me faire ses adieux. Il passa le dimanche avec nous et, pour l’occasion, il étrenna l’uniforme de serge bleue garni de franges d’or qu’il avait reçu de M. Ware. Quand il entra dans l’église, qui était comble, tout le monde se retourna spontanément et ne put retenir un frémissement d’admiration. Ce fut, du reste, la seule démonstration, et j ’éprouvai un vif plaisir en voyant mes chers Zambéziens réserver pour la sortie du service les salutations d’usage, bien autrement bruyantes. Dans la maison de Dieu, le roi prend le rang d’un motlanka, d’un subordonné. C’est un progrès. Quitté Séfoula à 2 heures du soir. Ma pauvre femme, entourée de ses petitès filles sous la véranda, me suivit du regard jusqu’à ce que les arbres vinssent s’interposer entre nous, et rentra, on peut se le figurer, avec le coeur gros, pour commencer son triste veuvage de trois mois. Et moi, je m’éloignai lentement, préoccupé et soucieux. Ngouana-Ngombé et Séajika m’amènent au port du village de Letsouélé, où m’attendent canots et canotiers. Ceux-ci s’empressent de me recevoir à genoux et en battant des mains,— ce qui fait rire mes garçons. Litia, lui aussi, arrive bientôt avec ses propres bateaux et sa suite. Nous sommes presque au complet. Chacun fait l’empressé, les tentes sè dressent; les abris de broussailles se construisent sur la plage sableuse, les feux s’allument. Les conversations s?animent. On dort peu cette première nuit de bivouac. Le lendemain, au point du jour, et après avoir tous ensemble imploré la bénédiction de Dieu, nous sommes en canots, et à 11 heures nous arrivons à Nalolo. Belle matinée après le froid de la nuit. Nous allions prendre sur le
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