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Je vous ai parlé des chiens enragés qui, depuis l’expédition chez les ma- Ghoukouloumboué, ont été le fléau de la contrée. Après les chiens, ce fut le tour du bétail ; et chez la race bovine le mal était toujours fatal. Mais ce qui est plus grave, c’est qu’un désordre analogue sévit aussi parmi les gens. Chez les uns, c’est une insanité passagère ; chez d’autres, c’est une rage ; si bien qu’il faut les garrotter. Plusieurs y ont succombé. Ces jours-ci, c’est Séoli, un des conseillers les plus influents. Le même jour mourait aussi sa première femme; le surlendemain, une autre de ses femmes. Il en fallait moins pour crier à la sorcellerie, et le sorcier était tout désigné par l’opinion publique : ce ne pouvait être que l’infortuné Liomba avec qui Séoli avait eu maille à partir, et on demandait tout haut son jugement et sa mort. Le roi, pour le soustraire, je crois, à ses ennemis, l’envoya avec Karoumba, vendre de l’ivoire à Kazoungoula. Liomba craignait un guet-apens et me fit part de ses terreurs, comme si j ’y pouvais quelque chose. J’espère cependant que le temps des meurtres clandestins est passé, et que l’Evangile a apporté la paix et la sécurité dans ce triste pays. 5 avril. Nous traversons un temps de crise. Le nombre de nos élèves avait dépassé la centaine. L’esprit était excellent; il y avait chez tous de l’intérêt et de l’entrain, des dispositions toutes nouvelles de soumission à la discipline, et de respect envers nous. La tâche nous était devenue facile, c’était une vraie jouissance. C’était trop beau pour durer; nous avions trop de soleil. Ce fut d’abord une vraie épidémie d’ulcères qui fit invasion parmi nos garçons, de ces ulcères africains qui résistent à tous les remèdes ordinaires, qui rongent les chairs d’une manière effrayante, et causent souvent la mort. Ils ont fait le désespoir de Livingstone, ils sont l’effroi des ba-Rotsi. Chose remarquable ! tous les garçons et les filles qui vivent dans notre maison y ont échappé. Nous avons perdu une vingtaine d’élèves qui sont retournés chez leurs parents pour se faire soigner. Mais voici qui est bien autrement grave : Nalolo, qui ne nous a jamais été bien favorable, nous fait maintenant de l’opposition. Mokouaé est malade, très malade même, assure-tr-on. Qu’ont dit les devins, les osselets et les dieux? Je ne sais pas; mais évidemment rien de bon pour nous. Mokouaé a fait chercher ses enfants, et tous ses gens l’un après l’autre ont fait de même. Et ces enfants de Nalolo, la fleur de notre école ! Plus de trente sont déjà partis, sans même nous dire adieu. On les épiait au sortir de l’école, on venait même de nuit, on les mettait dans des canots, et on se sauvait avec eux. Pauvres ba- Rotsi ; ils n’ont pas grand courage moral. Ces procédés, qui nous prennent par surprise, nous affligent. Combien de temps les autres nous resteront-ils ? 11 ne faut pourtant pas trop trahir notre tristesse, c’est pour le secret qu’il faut la garder. Avec le découragement au coeur, Dieu nous donne la grâce de pouvoir mettre encore de l’entrain dans cette école délabrée. Une autre lettre du roi, la troisième je crois, peu faite pour nous rassurer. Les porteurs, chargés en même temps de messages verbaux, nous permettent de lire entre les lignes. « 0 mon missionnaire, écrit Léwanika, les ba-Rotsi disent que je deviens fou. Ils se moquent de Séajika et de son enseignement. Ils demandent ce que le Livre leur a apporté de bon. Jamais nous n’avons eu autant de calamités que depuis votre arrivée ; jamais il n’est mort tant d’hommes !...» Je ne connais pas encore la cause de ces dispositions hostiles, mais elles sont bien réelles. Sépopa et Likokoarie m’avouent que, lors de leur dernière visite à Nalolo, Mokouaé leur a interdit de chanter des cantiques dans son village; Litia m’apprend confidentiellement qu’un parti demande à grands cris notre expulsion, et, à deux reprises déjà, ils l’ont discutée au Kachandi. D’où les tristes lettres du roi. Et ce pauvre Léwanika que nous savons si faible, tiendra-t-il bon pour nous ? io avril. La débâcle continue. Plutôt que de la laisser se fondre, nous donnons trois semaines de congé à notre école, et j ’en profite pour aller visiter Nalolo et Léaloüyi. 11 faut que je m’éclaire sur la situation. C’est le Mounda, la plaine est partiellement mondée. Du moment qu’elle apprend mes intentions, Mokouaé m’envoie un de ses canots. Mais j ’ai déjà pris mes mesures. Les plus grands de mes élèves, Litia le premier, insistent pour me pagayer, et ils le font joyeusement. Ils ne sont pas très experts, et mon auge roule et se remplit d’eau à rendre un peu nerveux. N’importe. Nous arrivons. Je ne fis pas longtemps antichambre. Mokouaé me manda près d’elle avec Litia. On nous conduisit à travers je ne sais combien de cours jusqu’à sa hutte de nattes. A chaque passage un serviteur nous attendait pour verser de l’eau sur nos pieds et répandre des cendres devant nous. Après cette cérémonie d’exorcisme qui nous fit bien un peu sourire, nous étions en mesure de paraître devant Mokouaé. Elle trônait sur une natte avec toute la dignité d’une malade de sa position, entourée de servantes et de courtisans favoris. Tous ces visages étaient de marbre. Le Mokoué-Tounga, le prince consort, diraient les Anglais, parlait peu et parlait sec. Je questionnai ma patiente, écoutai jusqu’au bout la description graphique de sa maladie, et satisfait de mon diagnostic, je pris congé. Le soir je retournai, administrai des pilules, préparai moi-même une , tasse de cacao que Sa Majesté trouva extrêmement de son goût. Elle eut une


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