Page 195

27f 90-2

se décourager et à se disperser. Je les ai d’abord rassemblés pour une demi- heure, et j ’ai mis les plus avancés à enseigner les autres. Dès que le bruit s en fut répandu, tous les absents revinrent, et notre liste s’est montée à 85. N’est-ce pas singulier que ce développement si remarquable de l’école coïncide avec toutes nos maladies et avec le départ d’Aaron, qui fait maintenant un stage de six ou huit mois à Séchéké, où on n’avait pas du tout besoin de lui ! Ma femme se traîne, elle aussi, maintenant, jusqu’à l’arbre qui ombrage notre école, et prend sa part de l’enseignement. Oh ! cette école ! comme elle nous a empoigné le coeur, et quelle place elle occupe dans nos pensées et dans nos prières 1 La construction de notre « tabernacle y> avance. J’ai eu l’idée de mettre nos élèves à porter du sable et à ramasser la bouse de vache pour en niveler le parquet et crépir les murs. Gela les occupe une heure tous les deux ou trois jours. Mais il faut voir avec quel entrain ils s’y sont mis, Litia et tous les jeunes chefs en tete. Quand ils ont fini leur petite corvée, ils s’attroupent eux-mêmes et passent la porte en chantant à deux parties : bo-Rotsi, fatsé la bontata rona Gar’a mafatsé, lé lethlé ké lona ! « Bo-Rotsi, pays de nos ancêtres, de tous les pays, c’est le plus beau. » Il faut bien être né mo-Rotsi pour pouvoir chanter cela comme ils le font. Pour le moment il n’est pas de chant plus populaire à Léalouyi. On bâtit en ce moment la maison de Mondé, la fille aînée de Môkouaé. Elle est nubile, on va lui donner un mari, et puis elle viendra commencer son éducation. Likokoane, un des neveux du roi, vient de se marier, et sa femme, une douce jeune fille, suit 1 école avec lui. Ce ne peut être toutefois que provisoirement, car le village de Likokoane est à Kanyonyo. Tous nos élèves, nés ba-Rotsi, tous, grands et petits, ont leurs villages. Autrement, je dirais que celui de la station prend de l’importance. C’est maintenant une agglomération de huttes, bâties en circonférence. Au milieu sont les maisons des « enfants du roi. » Combien de temps subsistera-t-il, ce village? Je n’en sais rien. Litia, selon les ordres de son père, s’entoure d’une étiquette qui empêche la familiarité et sauvegarde son autorité parmi cette foule de garçons et d’esclaves. Mais à l’école, c’est maintenant chose admise, pas de distinction ; maîtres et esclaves se mêlent dans les classes et s’enseignent mutuellement. Cela est un progrès. Le principe est si bien compris, que les filles du roi qui vivent dans notre maison ont appris non seulement à se passer de leurs servantes, mais même à faire les travaux du ménage, tout comme les petites filles (esclaves) qu’elles ont trouvées chez nous. Recommencé mes courses du samedi à travers les hameaux égrenés dans les marais qui bordent ce que nous appelons la Vallée. Nous n’avons guère d’auditoire que quand je vais ainsi le rassembler. La question de la famille, ici, c’est un bourbier sans fond. Que je demande à un mo-Rotsi d’envoyer ses enfants à l’école, il me répond bien quelquefois que l’école n’est pas pour les serfs, les batlànka; le plus souvent il prétexte qu’il n’a pas d’enfants; il en a eu un, deux, mais Nyambé (Dieu) les a fait mourir. C’est parfaitement vrai que nos Zambéziens ont peu de famille, et que — dans certaine classe du moins — on considère la grossesse d’une femme comme une telle infortune que le divorce s’ensuit assez souvent. — Mais il est vrai aussi que ces pauvres gens cachent leurs enfants, comme les ba-Souto leur bétail, et on comprend pourquoi. Premiers jours de mars. Mondé nous était arrivée en fiancée royale, les bras chargés de bracelets d’ivoire, la tête et le cou couverts de verroteries. Sa suite était digne de son rang. Elle s’était vite mise au pas de l’école pourtant. De son propre gré, elle s’était débarrassée d’une partie de ses ornements, elle se mettait au rang des autres, se contentait d’une natte au heu de se coussiner sur une esclave, et elle triomphait de l’ABC, quand des intrigues d’amourettes avec un cousin, qu’elle aurait voulu épouser, irritèrent le roi qui la fit mander immédiatement. La pauvre enfant ! On lui a donné pour mari un jeune homme qu’elle ne veut pas. On l’a menacée de noyades, remède de commères employé en pareil cas et qu’on dit très efficace, mais rien n’y fait. Mondé a sa tête à elle. Le roi me demande conseil, je lui dis qu’il aurait dû le faire plus tôt. De tels cas ne sont pas rares .dans ce pays; mais, comme le mariage se défait tout aussi facilement qu’il se fait, cela ne tire pas à grandes conséquences. Il n’y a pas de ménage malheureux ici. Si on ne s’accorde pas, le mari cherche une autre femme, et la femme un autre mari, et tout est dit. . La mort n’est jamais oisive au Zambèze, èt elle fait généralement son oeuvre avec une rapidité saisissante. Voilà le pauvre M. Westbeech; il vient de succomber en voyage, chez les jésuites, au Marico. Que de vides se sont faits depuis dix ans, depuis cinq ans même, dans ce petit monde du Zambèze ! Tous les Européens que j’y ai connus, et presque tous les métis — des personnages aussi ont passé : Westbeech, Blockley, le Dr Bradshaw, Africa... la liste est déjà longue. Mamochésane aussi, la fille du puissant Sébétoane, que j ’avais vue lors de mon premier voyage à la Vallée, est morte l’an passé, dans un état voisin de l’abandon et de la misère.


27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above