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Séfoula, 19 décembre 1888. Visite de quelques jours à Léalouyi avec les plus grands de mes élèves. Le roi affable et causeur comme d’habitude. Si les ba-Rotsi n’étaient pas si flatteurs et si faux, je croirais qu’il n’est pas loin du royaume des cieux. Nous parlions un soir de notre vie à Léçhoma et des difficultés sans nombre que me créaient les chefs de Séchéké. « Il n’y a rien là d’étonnant, remarqua Léwanika. Quand tu vins la première fois, il y a dix ans, les ba-Rotsi, soupçonneux de tes intentions, se hâtèrent de consulter les osselets et d’administrer le moati (un violent poison) à une quantité de poules ; les unes moururent, les autres pas; d’où, les messages ambigus qui te furent transmis. Ils n’osaient pas te défendre franchement l’entrée du pays, et pourtant ils avaient peur de te recevoir. Aussi s’évertuèrent-ils, par toutes sortes d’artifices, à te barrer le chemin et à te décourager. Le manteau que tu m’envoyas alors, pas plus que tes présents subséquents, je ne les vis jamais. On les avait déclarés ensorcelés, et on les arrêta en route. Ce qui m’étonne, moi, c’est que tu aies eu le courage de revenir et que tu sois ici. » A propos de mon premier voyage à la Vallée et de ma visite à Tatira, Léwanika m’interrompant : « Dis-moi donc, me demanda-t-il d’un ton qui attendait une réponse, que disait-on de moi? de quoi m’accusait-on? Des ba-Rotsi qui étaient restés ici, je ne reçois que des réponses évasives; toi, je le sais, tu me diras la vérité. » Je le regardai fixement. « Ignores-tu vraiment de quoi on t’accusait? Et désires-tu en vérité que je te le dises? — Oui, et je voudrais le savoir. — Eh bien, on t’accusait de tuer les gens sans raison et sans pitié. — Est-ce bien vrai ? Et son visage s’assombrit... Combien de gens disent-ils que j’ai mis à mort? H S - Un grand nombre. On racontait surtout comment tu as fait mourir de faim un de tes frères, dans un enclos construit exprès tout près du village, et comment, en un seul jour, tu as fait tuer sept chefs ba-Rotsi pendant qu’ils buvaient la bière que tu leur avais donnée pour les tromper. » Après quelques moments de silence : « C’est vrai, dil>-il, mais c’est la faute de Mathaha lui-même et de son parti. » Il me raconta alors comment son infortuné jeune frère, à l’instigation secrète de Mathaha, intriguait pour s’emparer du pouvoir, et comment Mathaha et ses partisans accusaient l’ancien serviteur de Livingstone, Machawana, et d’autres chefs, de comploter contre le roi, et ne se donnèrent point de repos qu’ils n’eussent obtenu leur arrêt de mort. Pauvre Léwanika, je le plaignais profondément, car, lors même que nous causâmes longtemps et de beaucoup de choses, il y avait un gros nuage sur son front, et de temps en temps il laissait échapper des expressions qui trahissaient l’agitation de ses pensées. 1Ê! Prenant enfin de l’empire sur lui- même, et affectant un ton de gaieté : « Il faut, dit-il, que je te parle de deux absences que j ’ai en perspective. Je vais d’abord à Rouéna tendre des pièges d’antilopes. — Ma seconde absence m’interrogeant du regard — c’est un pèlerinage au tombeau de Katouramoa. Le gardien de ce village a rêvé que Katouramoa — un ancien roi — me fait appeler et demande le sacrifice d’un boeuf... — Toi, aller prier les morts ! Le brave homme aurait bien pu te demander un boeuf sans rêver, et sans t’obliger à le lui conduire toi-même, voyons ! Et puis, tu sais maintenant que prier les morts, c’est offenser Dieu. — Tu as raison. Mais quand je serai croyant, je n’irai plus prier les morts, et tu verras si je ne tiens pas parole. En attendant, je dois céder aux ba- Rotsi, qui ne comprennent pas ton enseignement. — Et quand deviendras-tu un croyant, Léwanika? — Quand je saurai bien lire et que je serai mieux instruit des choses de Dieu. — Pourquoi attendre, dis-moi? Ta conscience ne t’a-t-elle jamais dit que tu as fait mal et beaucoup de mal? » II. devint pensif et baissa la tête. « Ah ! fit-il en soupirant, c’est une chose terrible que d’être roi. Quand je n’étais qu’un simple particulier, on disait que j ’étais un jeune homme exemplaire. J’aimais la chasse, et quand je ne chassais pas, je travaillais le bois. Enfant, j ’ai rossé une fois un gamin de mon âge, plus tard j ’ai chassé la mère de Litia, ma première femme, à cause dé sa conduite immorale. C’est tout. — En me faisant roi, on m’a ruiné, on m’a poussé dans toutes sortes de crimes. Je suis devenu un homme corrompu et souillé de sang... » Il se tut. Après un de ces silences qui disent plus que des torrents de paroles, nous nous agenouillâmes et je priai pour lui. J’étais à peine de retour à Séfoula que Mokouaé vint passer une dizaine de jours avec nous : et comme toujours avec une suite nombreuse. Si seulement elle pouvait voyager plus simplement. Ses jeunes filles sont si arrogantes ! Elles se croient tout permis. Mokouaé a essayé de se rendre aimable. Elle a suivi avec intérêt, je crois, la classe de couture et l’école. Un jour, la pluie nous surprit, et nous dûmes chercher un refuge dans notre <a tabernacle » qui est maintenant à moitié couvert. Pour maintenir l’ordre, j ’y conduisis mes


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