perdu, se pressaient autour de lui pour lui baiser les mains. Lui, ne se sentant pas encore en sûreté, se réfugiait chez moi à Séfoula. Du temps de Tatira, nous avions déjà deux fois sauvé la vie à ce même homme. Pendant que tout ceci se passait au lékhothla et mettait la ville en émoi, ma femme, malgré son état de grande faiblesse, avait ses journées, elle aussi, bien remplies. Elle essaya de faire deux ou trois visites à des malades; on vint surtout vers elle. Les femmes et les jeunes filles assiégeaient la hutte, ou remplissaient la cour du matin au soir, et, bon gré mal gré, il fallait bien congédier les visiteuses indiscrètes pour avoir un peu de répit. Du reste, la plupart des femmes venaient avec des étoffes pour se faire tailler des robes et apprendre à coudre; les autres regardaient et écoutaient le babil qui n’était pas toujours oiseux. D’autres aussi guettaient le moment favorable d’un tete- à-tête. Elles avaient des confidences à faire, des conseils à demander à cette femme missionnaire, une mère sur la discrétion de laquelle elles pouvaient compter. L’une expliquait au long sa maladie, une autre ses chagrins, une troisième s’enquérait des choses de Dieu. Les femmes qui n’osaient pas pénétrer dans l’enceinte du harem où nous logions, échangeaient des messages. « J’aimerais tant venir vous entendre chanter ! » disait l’une d’elles. Ce fut unirait de lumière. Ma femme lui.envoya ses trois fillettes pour chanter des cantiques. D’une cour on les invite dans une autre, puis dans une. autre encore, et partout on s’attroupe pour les entendre. Le dimanche, au service du soir, comme les ombres s’allongeaient, nous chantions. « J’ai trouvé, j’ai trouvé la voie (Ké bonèy ké boné tséla). y> Une voix argentine perçait toutes les autres, semblait planer entre ciel et terre. Elle était d’une douceur charmante. Tout le monde se tourna instinctivement vers ma femme, l’interrogeant du regard. Ce n’était pas elle; on découvrit que c’était Sébaiié, une de nos élèves, qui chantait, et un sourire de satisfaction passa sur l’assemblée. Personne n’oubliera de sitôt cette trompette d’argent qui perçait cette masse de voix fêlées. Nous associons toujours depuis lors ce beau cantique avec le nom de Sébané. Cette chère enfant, qui a à peine douze ou treize ans, est, de nos trois filles, celle qui d’abord promettait le moins. Elle est devenue sérieuse, active, aimable et véridique. Puisse ce cantique devenir bientôt l’expression de ses propres sentiments ! Ces trois enfants ne sont que des esclaves ; mais elles ne sont plus ce qu’elles étaient il y a un an. Elles sont proprement habillées, elles cousent, elles lisent, elles font toutes sortes de petits travaux qui leur sont devenus familiers ; elles ont, en un mot, un petit air dé civilisation qui les élève, au point que la reine Mokouaé, lorsqu’elles vinrent la saluer, s’oublia tout à fait et leur tendit la main ! Nous aurions pu retourner à Séfoula avec un grand nombre de jeunes filles, si nous l’avions voulu ou si nous l’avions pu. Mais comment résister aux instances du roi, qui nous suppliait de recevoir au moins sa propre fille, Mpo- loloa, une gentille enfant de dix ou onze ans ? Nous finîmes par y consentir, à la condition qu’elle viendrait toute seule, sans esclaves, et serait entièrement laissée à notre discrétion. Au lieu, d’une, il en vint trois, et avec elles une suite d’esclaves digne de leur rang. « Gomment ! s’était écriée la princesse Katoka, nos enfants aller à Séfoula sans esclaves ! Jamais ! » — Nous eûmes beau les renvoyer, il en reste toujours qui se tiennent cois chez Litia et qui paraissent à l’occasion. Il fallut bien faire une exception pour deux petites esclaves de l’âge des enfants du roi, qui s’amusent avec elles et viennent à l’école ; et une autre exception pour la bonne de Sanana, qui ne l’a jamais quittée. Vous le voyez, voilà déjà le hoyau d’une école de jeunes filles; nous avons également tous les éléments d’une école de garçons ; de fait nous sommes débordés; Nous n’avons ni les forces, ni les ressources, ni le personnel pour une oeuvre aussi grande et dont l’urgence s’impose toujours plus. Pour le moment, sans parler des ouvriers que demandent nos travaux, nous avons, avec les garçons et toutes les petites filles qui vivent sous notre toit, les mains pleines. Il faut habiller, nourrir, occuper et instruire tout ce petit monde-là, y maintenir la discipline, si anodine qu’elle soit, et ce serait déjà une charge pour une personne en bonne santé. Mais cette oeuvre qui nous est imposée est une grande oeuvre, et nous serions coupables de laisser échapper l’occasion de la faire. Mpololoa, qui, je l’ai dit, a à peine onze ans, est déjà fiancée à un homme qui pourrait presque être son grand-père et qui porte le titre de Mokoué-Tounga. C’est une douce enfant, mais qui, avec les inférieurs, affecte tous les airs hautains d’une grande personne. La plus jeune de nos nouvelles élèves n’a que sept ans, une petite espiègle s’il en fut. Quand Mme Coillard lui donna la première fois un chiffon pour apprendre à coudre, Sanana la regarda et lui dit : <c Ma mère, pour qui ce vêtement? Sànana ne coud pour personne; elle ne coud que pour elle- même. » Vous voyez qu’il n’y a pas seulement une éducation à faire, mais aussi toute une éducation à défaire. Novembre 1888. Notre école a recommencé le ior octobre, avec 48 élèves inscrits. C’est un progrès numérique sur l’an passé. Grâce à Dieu, ce n’est pas le seul. Les garçons, qui nous donnaient tant de peine et nous causaient quelquefois tant de chagrin, nous sont revenus animés des meilleures dispositions, et d’un
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