sible? Voici bien la wagonnette; mais conducteur et boeufs sont à Séchéké. Qu’à cela ne tienne 1 Ngouana-Ngombé, l’homme à tout faire, quitte la cuisine et prend le fouet, Aaron nous donne un vigoureux coup de main, nous formons un attelage minuscule de veaux et de génisses et... en route 1 Nos jeunes bêtes se couchent, se cabrent, se démènent à tout rompre, beuglent de désespoir et écument de rage sous les jougs; pendant huit jours, pour les dresser à faire ce petit voyage de six heures, nous suons sang et eau sous un ciel enflammé, dans les sables de nos dunes et dans les bourbiers de nos marais. Quelles scènes ! J’en ris encore. N’importe, nous ne nous rendons pas, nous atteignons notre but, c’est la grande chose. Notre arrivée à Léa- louyi est un vrai triomphe. Pour le moment, nous oublierons le retour. Dès le lendemain matin, je laisse ma femme confortablement établie dans une des belles huttes du roi avec la reine Mokouaé de Nalolo, sa soeur Katoka et plusieurs des princesses du harem en réunion de couture permanente, et je me rends au pitso. Lors même que je vous ai déjà parlé d’un pitso chez les ba-Rotsi, disons quelque chose de celui-ci; il en vaut la peine, je crois. Le roi prenait son siège au milieu du tintamarre étourdissant de ses tam- tams et de ses sérimba, les ministres accroupis à sa droite, les chambellans H- qu’on me pardonne ces grands termes pour de si petites choses — à sa gauche. Des troupes d’hommes, des chefs avec leurs suites débouchaient de tous côtés sur la place publique. C’était un roulement incessant d’acclamations comme celui du tonnerre, et pendant que les derniers arrivés le prolongeaient encore, les autres se prosternaient et prenaient leurs places parmi les groupes qui se formaient déjà autour du souverain. Les tambours se taisent, le silence se fait. Gambella, le premier ministre, le torse nu, s’avance dans l’espace laissé libre, rend hommage au roi, puis fait un discours. C’est le « discours du trône », dirions-nous. Ce discours est écouté et accueilli dans un silence qui ressemble à de la stupeur. Savez-vous de quoi il s’agit? De quoi? Vous*ne le devineriez jamais. De rien moins que du protectorat de « Satory », la reine Victoria d’Angleterre. Dans son exil, Léwanika en avait entendu parler; il s’imaginait que c’était là la panacée de tous ses maux. Nous avions souvent discuté la chose ensemble. J’avais essayé de rectifier ses idées et surtout de lui inculquer des vues plus larges et plus désintéressées. J’avais résisté à ses instances et maintes fois refusé d’en écrire à qui de droit, et l’on comprend mes raisons. Je lui avais conseillé de s’adresser d’abord au chef Khama, de mettre ses ministres et ses likomboa favoris dans sa confidence, de traiter ensuite l’affaire dans un conseil des grands chefs de la nation. Mais Léwanika a les tendances d’un autocrate, il est une des personnifications du droit divin. Il n’était pas sûr non plus de ces grands chefs. Il résolut de recourir tout simplement à une surprise. Il comptait sur mon crédit et ma bienveillance et croyait recommander son projet en l’identifiant avec la mission — c’est ce que font, par d’autres motifs, les détracteurs des missionnaires; ils se plaisent à montrer en eux des agents politiques. « Ba-Rotsi, dit en substance Gambella, des ennemis nous menacent à l’intérieur et à l’extérieur. Vous êtes braves, je le sais, mais le danger est grand. Je vous ai cherché des missionnaires pour que vous ne soyez pas en arrière des autres peuples. Les avez-vous accueillis? En êtes-vous reconnaissants? Le chef Khama a des missionnaires, mais il a aussi des masolé (des soldats). Les uns vont avec les autres. Si donc vous tenez aux missionnaires, demandez à Satory de nous envoyer ses masolé. Le morouti (missionnaire) le fera pour nous. Hésiter, c’est rejeter les missionnaires eux-mêmes. Voudriez-vous que les barouti nous quittassent aujourd’hui? Parlez sans crainte, le morouti est ici, il vous écoute, et moi aussi. » ' Ébahi comme tout le monde, j ’étais curieux de voir comment ces pauvres gens prendraient la chose. Je me tus. Un orateur courageux rompit enfin le silence devenu fort embarrassant. « Léwanika, puisqu’il nous faut parler, voici : Nous sommes tes chiens. Si ce sont là tes paroles, nous n’avons rien à dire, nous. Les barouti, c’est un bienfait émané de toi. Nous les avons reçus. C’étaient des étrangers, aujourd’hui ce sont des ba-Rotsi. Nous les connaissons, ce sont des gens de bien; ils n’ont pas les coeurs jaunes, eux; ils ne convoitent la propriété de personne, ils rémunèrent les services que nous leur rendons, nous portons tous leurs étoffes. Ils instruisent nos enfants, donnent des remèdes à nos malades, ce sont les pères de la nation. Nous devrions écouter leurs conseils et, s’il faut absolument recevoir les masolé, eh ! bien, recevons-les. » « Mais que sont donc ces masolé dont nous parle le roi ? fit un second orateur. Sont-ce des barouti, eux aussi? Que viendront-ils nous enseigner? Les barouti nous apportent le Lengoalo (l’enseignement par excellence, l’écriture proprement, cela comprend tout). Leur enseignement n’est-il pas suffisant? Ou bien, avons-nous donc refusé de nous y soumettre? Nous les avons accueillis pourtant; nous les aimons; ils prient pour nous, ils nous donnent le soleil et la pluie. Je le demande, qu’est-ce que c’est que ces masolé? » Le branle une fois donné, ce fut une série de discours qui se répétaient et renchérissaient les uns sur les autres. A côté d’une inquiétude bien légitime au sujet de cette chose tout à fait inconnue et dont on entend parler pour la première fois, les masolé, rien d’équivoque dans la confiance générale qu on nous témoigne. Aussi est-on tout yeux, tout oreilles, quand ¿’expliqué que comme serviteurs de Dieu nous n’avons absolument rien a faire ni avec les masolé, ni avec le gouvernement britannique, ni avec un autre gouvernement quelconque. J’insiste et je m’assure qu’on me comprend bien. J’ajoute que,
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