« Bah! fit-il vivement, les osselets disent ce que je veux! î> C’est clair, ce n’est pas rassurant. Pendant que j’étais là, il y a eu un rapprochement entre lui et ses ministres Gambella et Natamoyo. Etait-il sincère ? Nous le saurons bientôt. En même temps que Léwanika, le vieux conseiller Narouboutou, dont je vous ai envoyé le portrait, s’est aussi alité et pour le même genre d’indisposition. J’ai administré mes calmants avec tant d’assurance, que mes patients avouèrent un mieux réel. Je ne pus pourtant pas obtenir de Léwanika qu’il sortît de sa tente pour s’asseoir dans la cour, qui est bien abritée, tapissée et ombragée de nattes. On se dit à l’oreille qu’un complot contre Léwanika en faveur de Morantsiane a été découvert et que les principaux chefs de la Vallée, Gambella en tête, sont gravement compromis. Je n’ oserais pas le nier; mais je frémis à la pensée de nouveaux massacres. Je pense que Léwanika n’oubliera pas les entretiens que nous avons eus pendant les quatre jours que j’ai passés avec lui. Oh ! si seulement je pouvais lui inspirer l’horreur du sang ! Ce que je ne puis pas faire, moi, la grâce de Dieu le fera. Il y a de grandes contradictions chez cet homme.- Il est despote, vindicatif et cruel tant qu’on veut, et avec cela il a du bon sens, du tact, de la générosité et de l’amabilité. Je pourrais facilement faire de lui deux portraits qui n’auraient rien de commun. Il y a plus d’un Léwanika dans le monde. Je vous disais il y a quelque temps qu’à Séfoula il n’y a ni fleurs ni fruits. L’an passé, à mon retour de Kazoungoula, j ’ai trouvé que tous mes eucalyptus avaient péri, et cette année, si nous en avons une vingtaine qui végètent encore, ce n’est qu’à force de les arroser. Une graine de pois de senteur, qui s’était égarée jusqu’ici, fut soigneusement plantée et barricadée d’épines devant la fenêtre de la chambre à coucher. Elle crût, elle poussa une fleur, une seule; mais qu’elle était belle et qu’elle sentait bon ! IJn matin, des poulets du Zambèze, d’une race minuscule et d’autant plus destructive, se glissèrent sous les épines, et... picotèrent la fleur, déracinèrent la plante ! Qu’y avait-il donc dans cette simple fleur qui nous faisait tant plaisir, et qui nous causa un moment de chagrin quand nous la vîmes fanée et détruite ! Gela me fait hésiter à vous parler d’une autre fleur autrement belle. Mais pourquoi n’en jouiriez-vous pas avec nous et ne nous aideriez-vous pas à l’arroser? Si elle venait à se flétrir, ce qu’à Dieu ne plaise ! vous vous en lamenteriez avec nous, et votre sympathie serait une consolation. Le i 4 novembre 1887, je commençais ma classe de catéchumènes, ô?inquirers, disent plus justement les Anglais. Cette classe ne se composait et ne se compose encore que de deux membres : Routhi, la fille de notre évangéliste, et Ngouana-Ngombé. C’est de ce dernier, qui vous est déjà connu, que je désire vous parler. Il y a plus d’un an que nous avons lieu de le croire converti. Il nous a toujours donné beaucoup de satisfaction, depuis quatre ans bientôt qu’il est dans notre maison; mais cela ne nous suffisait pas. Aujourd’hui, il est plus qu’un bon serviteur pour nous, il est un fils. Je crois vous avoir dit comment il nous est souvent arrivé de trouver ce cher garçon priant dans les fourrés du bois, et comment un soir il s’en vint timidement me demander en propres termes : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé? » Il y a longtemps qu’il professe d’avoir trouvé le Sauveur. Je voudrais que vous le vissiez, avec sa manière un peu laconique, parler aux gens qui viennent nous offrir leurs produits, ou rassembler le soir nos enfants et nos ouvriers. C’est un plaisir de le prendre pour une course d’évangélisation. Il est hors de lui de joie, il faut qu’il arrête les passants, qu’il crie à ceux qui travaillent dans les marécages et que nous ne pouvons pas atteindre, et qu’il appuie ce que je dis, ou qu’il le répète dans le patois du pays avec cette bonhomie qui le fait écouter. Tout le monde connaît Ngouana-Ngombé, tout le monde l’aime. Il y a eu dimanche quinze jours, nous avions un bon auditoire de i 4o à i 5o personnes. Je parlais sur le Dieu inconnu, Act., XVII, 23. Quand j’eus fini, Ngouana-Ngombé, sous l’empire d’une grande émotion, se leva et me demanda la parole. J’ai transcrit son discours et je crois qu’il vous intéressera. Nous, il nous a touchés. « Mes pères et mes mères, dit-il, vous vous étonnerez de me voir prendre la parole dans une assemblée comme celle-ci. C’est que je me sens pressé de vous dire que j’ai cherché longtemps le Dieu inconnu dont le morouti vient de parler. Je l’ai trouvé, il s’est révélé à mon âme, je suis un croyant. Vous me regardez avec étonnement; vous me connaissez tous. Je suis Ngouana- Ngombé, un mochimane (ici, un esclave). Mon père est mo-Soubyia, ma mère est mo-Toka, je suis le mochimane des barouti (missionnaires). Oui, mais je suis autre chose encore, je suis un croyant. J’étais perdu, Dieu m’a sauvé ! « Je n’ai pas toujours été ce que je suis. Hélas ! non. Il y a quatre ans, je n’étais qu’un enfant (il a maintenant quinze ou seize ans). J’allai à Léchoma demander au morouti de me recevoir à son service pour un mois, c’est un setsiba que je voulais. Le mois écoulé, je demandai qu’il me gardât pour un fusil. Il y consentit. Mais je n’aimais pas les choses de Dieu. Quand c’était l’heure de la prière, je mettais ma bouillotte sur le feu et je me sauvais dans le bois. Ceux qui m’ont connu alors savent que j ’étais colère, que je ne supportais ni les injures ni la contradiction. A Séchéké, j ’avais moins de répugnance pour les choses de Dieu, mais je ne les comprenais pas davantage. Ce que je désirais, c’était de m’instruire, voilà tout. Quand nous arrivâmes ici, le morouti retourna à Séchéké chercher notre mère et me laissa avec Waddell et Middleton. Nous ne savions pas s’il reviendrait. Middleton nous donnait bien régulièrement notre nourriture, mais plus de prières, plus de
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