manifeste un grand désir de s’instruire et de faire instruire les tribus qu’il gouverne, ou, pour parler plus juste, la tribu des ba-Rotsi elle-même. Jusqu’à quand ces bonnes dispositions dureront-elles, s’il ne se convertit pas? J’ai devant moi une liste de vingt postes d’évangélisation que nous devrions occuper au plus tôt. Les ba-Rotsi voudraient conserver pour eux le monopole de l’instruction, comme tous les autres monopoles, et c’est ce qui fait qu’une école journalière ouverte à toutes les classes rencontrera longtemps encore de grandes difficultés. Mais, si nous en avions le personnel et les moyens, et que nous pussions ouvrir un établissement pour les garçons et un pour les filles, nous aurions immédiatement un nombre d’élèves que nous serions obligés de limiter. Tous se soumettraient à une discipline que celle de la circoncision leur permet de comprendre. Je ne prétends pas que l’oeuvre fût des plus faciles, mais elle est faisable. Pour l’entreprendre il faudrait un personnel d’élite expérimenté ; des hommes et des femmes qui s’y donnassent sans réserve avec toute la force physique dont ils jouissent, tous les talents qu’ils possèdent, avec toute la puissance de leur amour. Pour le moment, le fils et les neveux du roi vont revenir, avec — j’ai raison de le croire ^i'îun assez grand nombre des fils des principaux chefs du pays. Depuis longtemps aussi, le roi nous presse de recevoir Mondé, la fille aînée de Mokouaé. Elle ne viendra pas seule. Mais ces établissements-là, avec une foule d’esclaves des deux sexes, et sur lesquels nous n’avons aucun contrôle-, sont des antres inqualifiables de dévergondage. Et comment, je vous le demande, mener de front l’école et l’évangélisation, tout en faisant face aux devoirs multiples qui réclament sans cesse une partie de notre temps et de notre attention? C’est chose grave que de lancer des appels, surtout quand il s’agit de venir dans ces climats. Le Sauveur nous a indiqué la voie la' plus sûre : « Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. » Je ne partage pas les craintes de certains amis qui pensent que « le Zam- bèze pourrait bien être mis de côté pour le Congo ». Pour nous, l’oeuvre est la même où qu’elle se fasse. C’est de l’émulation, et non de la rivalité, qu’il y aura entre nous. Le Congo, — comme Taiti, le Sénégal et bientôt la lia— bylie, _ c’est l’explosion du patriotisme protestant. chrétien, si longtemps contenu et refoulé par les autorités gouvernementales. Il est temps que chez nous, dans nos colonies, nous revendiquions le droit de servir la patrie et contestions au catholicisme le monopole du patriotisme et du dévouement qu’il a le tort de s’arroger. Rome, ce n’est pas la France, pas plus que ce n’est l’Evangile. La mission du Zambèze, comme celle du Lessouto dont elle est la fille, c’est la manifestation du caractère essentiellement catholique, universel, du christianisme saisi par le coeur. Sans aucun calcul humain, comme le Bon Samaritain, des chrétiens, de n’importe quel pays ou quelle dénomination, mettent en commun leurs sacrifices et leur charité pour la rédemption des sauvages les plus abrutis et les plus dégradés qui fassent partie de la famille humaine. Plus haut que les préjugés, les intérêts et les drapeaux de leurs nations respectives, ils élèvent ensemble et font flotter l’étendard de la Croix. Et nous, enfants de huguenots, protestants et Français de coeur, qui avons pris l’initiative de cette grande oeuvre de relèvement, dans un pays où aucune puissance européenne ne nous couvre de son égide, dites, faisons-nous honte à la France ? La renierons-nous, notre patrie, ou bien... nous renierait^elle ? • Séfoula, 18 août 1888. Depuis quelques semaines, le roi est malade. Il a quitté le Kouandou, son appartement privé, et s’est séquestré dans une tente de nattes qu’on lui a élevée au fond d’une arrière-cour. A part ses serviteurs favoris, personne n’a accès auprès de lui, pas même ses ministres, Gambella, ni même Mokouaé, sa soeur, tant ces pauvres gens ont peur de ce qu’ils appellent t les mauvais pieds ». Pour arriver à la cour qu’il occupe, il faut en traverser trois autres où l’on trouve nuit et jour des groupes silencieux d’esclaves. Les principaux chefs qui sont à la capitale passent la nuit dans la première, et ses likomboa (les hommes plus importants du personnel de l’établissement royal) dans la deuxième. La troisième est réservée aux intimes. Les hommes passent au lékhothla comme des ombres, sans s’y arrêter; les chefs y siègent quelques instants par devoir, mais on n’y rend pas la justice, on n’y traite aucune affaire, on n’y cause qu’à voix basse. On n’y allume plus le feu du soir, les tambours sont silencieux (ces chers tambours, comme ils doivent s’étonner de ce repos !). Personne n’ose aller travailler dans les champs, bien que la saison presse; chacun est morne et méfiant, la crainte a saisi tout le monde. C’est Léalouyi tel que je l’ai trouvé la semaine dernière, quand, effrayé de la tournure que prenaient les choses, je m’y suis rendu en toute hâte. Cette maladie ne serait-elle qu’un prétexte pour atteindre un but politique, c’est-à-dire pour se défaire d’une manière raisonnable de personnages suspects? Mes appréhensions, hélas! ne paraissent que trop fondées. C’est une névralgie qu’a le roi et qui lui prend la moitié du visage. Il ne donne des ordres qu’à voix basse à ceux qui s’accroupissent a sa porte ; mais, une fois que nous étions seuls tous les deux, il pouvait causer, rire, s’abandonner enfin comme toujours. Je lui demandais comment il se faisait que les osselets divinatoires choisissent précisément ses favoris pour leur donner libre entrée. HAUT-ZAMBÈZE.
27f 90-2
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