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Les difficultés de notre position sont bien grandes. Si seulement nos communications avec Séchéké étaient moins difficiles ! Nous ne pouvons faire nos transports qu’une fois l’an, et encore faut-il affronter la mouche tsetsé. Malgré toutes nos pertes, tous nos désastres, je devrais dire, je ne crois pas le chemin impraticable. Seulement, nous sommes à la merci de conducteurs qui n’ont nullement nos intérêts à coeur. La vie matérielle à la Vallée est des plus difficiles. Ce qui nous manque surtout, c’est la viande. Impossible de nous procurer même un chevreau pour mettre sous la dent. Le petit troupeau que j ’avais amené est complètement fondu, sans que nous en ayons profité le moins du monde. Vivre des poulets rachitiques du Zambèze, qu’on avalerait presque d’une bouchée avec les plumes, et de temps en temps se bourrer de poisson qui ne se garde pas, ce n’est pas vivre, c’est vivoter. Ajoutez à cela le manque de lait, car nous avons aussi perdu nos vaches, et puis... Sachez seulement que la vie est dure, et la tâche d’une maîtresse de maison peu facile... Séfoula, 28 avril 1 .....Vous n’avez pas d’idée comme on invente dans ce malheureux pays. Le bruit a couru qu’on nous avait pillés complètement, brûlé nos maisons et que nous nous étions réfugiés dans un hameau voisin, dénués de toutes ressources et même de vêtements. Léwanika s’empressa de m’envoyer un exprès pour me mander de me rendre à son camp avec ma femme, et qu’à son retour, il nous réinstallerait à Séfoula. C’est fâcheux que, dans un temps où l’atmosphère est chargée des miasmes d’une révolution prochaine, l’idée ait été émise que nous puissions être pillés et incendiés. Cela ne tend pas à nous inspirer plus de sécurité qu’il ne faut. Si jamais nous sommes pillés et maltraités, ce sera par les esclaves, au profit des chefs, comme d’habitude. Mais nous ne sommes pas inquiets sur ce point-là; nous avons d’autres soucis; le plus grand de tous, c’est la perte de nos boeufs. Comment faire venir nos provisions de Séchéké? Et pourtant, il nous les faut. Nous sommes à court de tout. Et ces pertes et ces difficultés vont-elles décourager nos amis ? Ici, vraiment, c’est dans la communion de Dieu qu’il faut se retremper, et fermer les oreilles quand les échos répètent : quel mauvais pays ! quelle vie dure ! car en effet la vie est dure et difficile. Mais Dieu nous donnera à tous, non seulement de tenir bon, mais d’aller de force en force. Si la vie ici est une lutte de chaque jour, c’est aussi une leçon journalière de confiance sans réserve en Dieu... Nous traversons une de ces périodes -^devrais-je dire une crise ? — où la foi est un combat de chaque instant, et où, bien souvent, le courage n’est qu’un lumignon qui fume encoré. Les travaux matériels, avec leurs incessantes fatigues et leurs soucis rongeurs, nous écrasent. Il faut, s’installer pourtant, et si précairement que ce soit. Nous sentons la vie s’en aller sans avoir la satisfaction de faire beaucoup... Mais n’allez pas croire cependant que je m’apitoie ou que je me plaigne. Un général français disait à son aide de camp que la politesse d’un soldat, c’est l’obéissance. Et je crois, moi, qu’en toutes circonstances notre devoir envers notre Maître, c’est la fidélité. Le témoignage d’une bonne conscience est une grande chose, et je comprends toujours plus pourquoi saint Paul y revient si souvent dans ses lettres à Timothée...


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