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dignité. C’est la reine Mokouaé qui vient avec sa suite de jeunes filles, avec les princesses, les filles de Sépopa et les femmes de Léwanika. Toutes sont vetues de robes d’indienne, de pièces de même étoffe aux vives couleurs qui flottent sur leurs épaules, et de grands mouchoirs sur la tête, rejetés en arrière comme des voiles; tout cela avec une profusion de verroterie et de bijouterie de quelque bazar parisien. Elles prennent gravement place derrière nous sur des nattes, et, après les claquements de mains de toute l’assemblée, le culte commence. Je parle sur ce texte : « Or, c’est ici la cause de la condamnation que la lumière est venue au monde, et que les hommes ont mieux aimé les tenèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises... » Le lendemain, nous voulions partir de bonne heure, mais Léwanika désira que nous assistions au grand conseil de la nation. Nous cédons. Nous prenons place avec lui dans la hutte spacieuse du khothla, une espèce de hangar ouvert de tous côtés. Les chefs s’y entassent comme des harengs, tandis que la foule se presse au dehors, se serre et tend l’oreille. La séance dura de 8 heures à i heure de l’après-midi. Ce fut une succession de petits discours qui partaient comme des fusées. Décidément les ba-Rotsi ne sont pas des ba- Souto; ils ne savent pas parler et Léwanika pas mieux qu’un autre. Les avis étaient partagés. Les grands chefs avaient consulté les osselets, l’oracle avait condamné l’expédition, et ils hésitaient. Léwanika le savait depuis deux jours et il en était furieux. A présent ils émettaient toutes les objections possibles, puis, pour pacifier le roi, ils vantaient sa sagesse et les prouesses des ba-Rotsi, et le conjuraient de'partir sans délai. Les autres, fort peu nombreux, Natamoyo, Gambella surtout, avaient le courage de leur opinion et désapprouvaient franchement. La grande majorité demandait l’expédition à grands cris. G’etaient surtout les likomboa, les serviteurs favoris du roi, qui sont toujours en rivalité avec les ministres; ce sont eux surtout qui parlaient haut. L’occasion était unique pour dire quelques vérités à ces gens-là, et je le fis. Je vis, d’après le discours de clôture du roi, que l’expédition était coulée tout de bon. Nous nous en réjouissions avec M. Goy et cela nous consolait d’être arrivés de nuit à la maison, brassant l’eau et piétinant dans la boue. Mais les likomboa étaient montés, et, soutenus par la masse des guerriers qui étaient là, ils attendirent notre départ, provoquèrent un autre conseil, et ils gagnèrent la partie. Un messager vint, deux jours après, nous annoncer que 1 expédition était définitivement décidée, et que le roi se préparait à se mettre en campagne. Le 16 février. L’expédition est en route, décidément; jusqu’au dernier moment, j ’avais compté je ne sais sur quelle éventualité qui la ferait avorter. Mais, non. On a eu beau parler au roi de la famine qui règne chez les ma-Khalaka, sur lesquels il compte pour approvisionner son armée ; on a eu beau lui rapporter des bruits de révolution imminente. Rien n’y fit. On battit, toute la nuit, les gros tambours de guerre. Les guerriers, qui étaient chez eux pour préparer leurs provisions de route, commençèrent à s’assembler. Le roi fit des dévotions. Des offrandes de calicot, de verroterie, d’eau, de lait ou de miel furent envoyées à tous les tombeaux royaux du pays, en même temps qu’une gerbe de javelines qui y restèrent déposées pendant quarante- huit heures, pour donner à ces dignitaires de l’autre monde le temps de les bénir. Le 8, Léwanika quittait sa capitale en canot, campait à Mongou, complétait ses cérémonies religieuses au tombeau de Katongo, et le lundi il venait camper de 1 autre coté du ruisseau de Séfoula avec 600 ou yoo hommes. Gomme il nous avait prévenus à temps, nous allâmes tous au pied du coteau pour voir défiler son armée. Le son morne du tambour et celui des clochettes qui servent de clairons en annoncèrent bientôt l’approche. Nous apercevons d abord à travers les arbres une file de jeunes gens, portant en guise d’étendards les fameuses sagaies bénites, et luisantes d’ocre. A leur tête marchent solennellement un homme d’âge et une jeune fille. Derrière eux viennent le roi, Gambella, une troupe de personnages curieusement chamarrés et le moïfo, la garde royale, puis la foule, une cohue d’hommes de tout âge, chargés de nattes, de gourdes, de vêtements, etc., marchant en désordre et débouchant de tous côtés à travers les broussailles. La jeune fille dont j ai parlé plus haut n’est pas la vivandière du régiment ; c en est la prophétesse. Choisie par les osselets divinatoires, elle est l’interprète des dieux. Rien ne se fait sans elle. C’est elle qui donne le signal du départ et de la halte. Elle porte la corne qui contient les médecines de la guerre et les charmes. Elle est toujours en tête de l’avant-garde, et il n’est permis à personne, même au repos, de passer devant elle. Qu’elle se fatigue ou tombe malade, c’est aux jeunes gens de la porter. En arrivant devant l’ennemi, c’est elle qui tirera le premier coup de fusil, et, tout le temps qué durera la bataille, il ne lui est permis ni de dormir, ni de s’asseoir, ni de manger ou de boire. A la halte, elle dépose sa corne, les jeunes gens de sa garde fichent en terre les javelines sacrées : « Tou ka yoyé, bakouétoul » s’écrie


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