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affection place sur un piédestal, ne vit pas là-haut ; ce ne sont que les statues qui y restent. Sa vie à lui n’est non plus la vie contemplative du moine, ni celle d’un amateur d’aventures d’un héroïsme à grand éclat. Non. Elle est d’un terre-à-terre qui vous étonnerait. C’est un tissu d’humbles devoirs et de petits détails qui émiettent son temps, sa patience et ses forces. Le soir, un sentiment de tristesse s’empare souvent de lui quand il fait le bilan de ses occupations, et n’a guère rien à montrer que désappointements et fatigue. Même dans son sommeil, il est souvent hanté par la perspective des luttes du lendemain. Est-ce là, je me demande, la vie idéale d’un apôtre? Quand Paul cousait ses tentes, était-il parfois obsédé des soucis qui tourmentent le commun des mortels ? Voilà juste une année qu’accompagné de nos amis Waddell et Middleton, j’arrivais ici. Ma femme était restée à Séchéké. Nous plantions nos tentes au milieu des massifs de broussailles et de tronçons mutilés, sur cette colline de sable couverte d’une épaisse couche de cendres. Elle doit avoir eu une vingtaine de lunes au moins, cette année-là. Nous commencions nos travaux d’installation au milieu des circonstances les plus défavorables. Satan n’était pas le seul à rire de nous. Mais notre Dieu, toujours bon et toujours fidèle, nous a soutenus par sa grâce et secourus selon nos besoins. Ce formidable voyage de ma femme, qu’on taxait de folie, a été rapide et facile. Sa santé, ébranlée par la vie si rude que nous menons depuis trois ans, s’est peu à peu rétablie. Nous avons eu encore des pertes de bétail qui ont sérieusement compliqué nos difficultés et entravé nos travaux ; mais tous nous avons joui d’une excellente santé, et les attaques de fièvre ont été aussi rares que bénignes. Nous marchons toujours dans un sable profond, les broussailles, les tronçons d’arbres décapités, nos jungles et nos marais sont toujours là, repaires des serpents, des hyènes et des léopards. L’endroit ne sera jamais pittoresque; notre immense plaine sans végétation, le ht d’un lac desséché, avec ses marécages fangeux, ne sera jamais un canton de la Suisse ou du Lessouto. Il faut en prendre notre parti. Mais Séfoula peut devenir habitable et on peut y vivre heureux. Pendant que des travaux de drainage se poursuivent activement dans le vallon, nous avons commencé à déblayer nos massifs, et déjà, sur le coteau où naguère on brûlait vifs les sorciers, s’élèvent quatre petits bâtiments européens qui sont la grande merveille du pays. Elles sont pourtant bien modestes, ces cabanes temporaires de pieux et de roseaux et que les termites rongent déjà. Mais elles ont de petites fenêtres, de l’air et de la lumière. Vous ne sauriez croire quel intérêt nous avons trouvé à les élever, à les crépir, et à tirer parti de ce que nous avons pour les meubler et les rendre gentilles. C’est l’emblème de la vie que nous savons si éphémère et que nous essayons de rendre si belle. Nos travaux matériels ne sont que commencés; les plus grands sont encore devant nous, et nous les envisageons avec une sorte de stupeur. Il nous faut pourtant des constructions plus stables que celles qui nous abritent maintenant. Il n’y à pas de pierres que je sache à 160 kilomètres à la ronde, et pour bâtir, force nous sera de faire des briques. Middleton a fait dans la Vallée un essai qui a assez bien réussi. Mais, à notre grand regret, il nous quitte pour retourner en Europe, et à moins de trouver un moyen mécanique d’activer ce travail, les difficultés qu’il présente sont telles, que je ne me sens pas de taille à l’entreprendre. Je ne serais pas juste si je ne rendais publiquement témoignage au dévouement de Middleton et de Waddell. Voilà pour le matériel. Que dirai-je maintenant de l’oeuvre missionnaire elle-même? Nous sommes encore aux jours des petits commencements. Nous défrichons. C’est une période fort peu intéressante, car nous n’avons encore rien à montrer que notre sueur et nos mottes. Mais il faut bien défricher coûte que coûte si l’on veut un jour semer et plus tard moissonner. Ce qui importe pour le présent, c’est de ne pas perdre courage, c’est surtout d’avoir foi à l’oeuvre. Visitons d’abord l’école qui se tient là-bas sous le maigre ombrage d’un arbre creux. Elle s’est faite régulièrement depuis le commencement d’avril. De 35 le nombre des écoliers a baissé jusqu’à 20. Les esclaves déjà un peu grands de nos jeunes chefs se sont peu à peu fatigués de ce service passif, sans intérêt, et d’une discipline qui, si légère fût-elle, est gênante pourtant pour ces enfants de la nature. A part une ou deux exceptions dont nous tenons soigneusement compte, il nous a été impossible de faire des recrues volontaires parmi les villages des environs. L’école n’est encore considérée que comme celle des jeunes princes exclusivement, et ceux qui la suivent sont ou deviennent par le fait leurs serfs et leurs esclaves. C’est assez pour effrayer les parents et les enfants eux-mêmes. Cela changera avec le temps; pour le moment, c’est malheureux. L’établissement de nos jeunes gens laisse beaucoup à désirer sous tous les rapports ; la moralité n’y est pas exemplaire ; la faim y est un des hôtes habituels, puisque ces princes sont à la charge d’un public qui ne les aime pas, et c’est la source de grands désordres auxquels nous ne sommes pas en mesure de remédier. Ils ont à peu près fini notre petit troupeau de chèvres et moutons, et nous sommes dans la détresse pour nous procurer un peu de viande. Dernièrement, pendant mon absence, ils m’ont volé mes deux baromètres anéroïdes, probablement pour s’en faire des tabatières. Pauvres enfants, ils se doutaient fort peu du mauvais service qu’ils me rendaient ! Nous avons même dû pour un temps leur interdire l’entrée de l’ateher, d’où clous, vis et outils disparaissaient d’une façon alarmante. HAUT-ZAMBÈZE. 33 ‘


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