nous faudrait un internat où tous les élèves seraient sur le même pied, et constamment sous la surveillance du maître. Cela viendra aussi. En attendant, ne méprisons pas les petits commencements, mais bénissons-en Dieu. Le roi est depuis quinze jours revenu de la chasse; chasse malheureuse s’il en fut. Ses émissaires avaient beau parcourir les villages, et par les procédés qui leur sont propres entraîner des recrues et semer l’épouvante, la chasse, je ne sais pourquoi, n’était pas populaire. Et puis l’inondation, cette année, est a son minimum, les bas-fonds seuls de la vallée sont submergés. C’est' une calamité à plus d’un point de vue, et à celui de la chasse en particulier. Les antílopes courent les champs, on ne peut comme d’habitude, avec des centaines de canots, les cerner dans un îlot et en faire un carnage facile. Et comme les ba-Rotsi comptent sur cette grande chasse annuelle d’un mois ou plus pour faire leurs provisions de fourrures, on comprend leur déboire Cette année. La faim les fît rentrer dans leurs foyers. Quelques-uns n’étaient plus que des squelettes vivants. De mémoire d’homme on n’avait vu chose pareille; comment l’expliquer, si ce n’est par la sorcellerie ? Certains incidents de chasse avaient aussi mis le roi et les principaux chefs de mauvaise humeur. Le lendemain de son retour, ü trouva le parquet de sa maison tout aspergé de sang. Cette fois, plus de doute, on en veut à sa personne même. Mais quel était l’auteur de ces maléfices? Léwanika n’allait plus au lékhothla et ne voyait personne. La terreur saisit tout le monde et se répandit partout comme une vague. Les récalcitrants qui n’avaient pas pris part à la chasse, cachaient de nuit leur blé et leur petit avoir, et se sauvaient dans les bois. Gambella, les autres ministres et tous les chefs de la capitale ne se sentaient pas à l’abri des soupçons. Chacun tmt à honneur de se laver en subissant l’épreuve de l’eau bouillante. A un jour donné donc, on mit sur le feu, au lékhothla, autant de pots qu’il y avait de chefs, et, toujours par substitution, leurs esclaves y plongèrent tour à tour les mains. Chose pour moi jusqu’à présent inexplicable, personne ne fut échaudé. Les femmes du harem eurent alors leur tour, puis ce fut celui des cuisinières et marmitonnes. Dès que ces nouvelles nous parvinrent, je pris un canot et me rendis à la capitale. C’était vendredi le 20. Le roi parut content de me voir, il avait le coeur tout plein; il passa une grande partie de la nuit dans ma hutte à causer. Le lendemain, je passai tout le jour en entretiens privés avec ses principaux conseillers, et le soir ils étaient tous réunis chez moi avec leur maître. Mais cela ne suffisait pas. Le lendemain dimanche, aux deux réunions, je prêchai sur le sixième commandement : « Tu ne tueras point. » Je vous laisse à penser si on ouvrait de grands yeux en m’entendant poser en principe et développer cette vérité, ici si nouvelle et si étrange, que l’homme est la création, la propriété exclusive de Dieu, que les rois et les gouverneurs ne sont que les bergers des peuples et des serviteurs qui auront à rendre compte de leur administration. J’avais à me faire violence en dénonçant l’atrocité d’une superstition qui sacrifie si légèrement tant de vies humaines, et en flétrissant les menées qui ont produit les derniers événements. Je sentais toute l’importance de l’occasion et la grandeur de mon ministère. Oh! comme j ’étais allé à Léalouyien tremblant; comme je demandais à mon Maître la fidélité, la force et la puissance d’une ardente charité ! On a compris mes discours aussi bien que le but de ma visite. Les gens étonnés disaient : « C’est ça 1 » Le roi, qui baissait la tête, disait à Gambella : « Les paroles du morouti me sont entrées dans le coeur ! » Les conseillers, eux, venaient en particulier me prier de les lui répéter; et lui me demandait, à son tour, de les redire à ses ministres. Ils me firent tous de belles promesses : plus d’épreuves à l’eau bouillante, plus de poison, plus de bû- chers ! Le lundi matin, un homme plantait, en plein lékhothla assemblé, deux bouts de roseaux avec des paquets de plumes de poule. C’était encore un cas de sorcellerie. Ces poules avaient subi l’épreuve préparatoire du moati et y avaient succombé. On renvoya ces gens en leur disant qu’ils troublaient la paix publique et la sécurité de leur village. Je ne sais pas si j ’ai pu sauver la vie d’une vieille femme, une des cuisinières, qui s’était trouvée échaudée. Mais ne nous trompons pas, ce n’est pas du premier coup de bélier qu’on fera écrouler, qu’on peut même ébranler les murs de la superstition. C’est une des places de Satan les plus fortes. Mais nous redoublerons les . coups, nous creuserons des mines, et heureux serons-nous si nous parvenons à y faire une brèche. Vous voyez dâns quelle atmosphère nous vivons; notre ciel serait de plomb sans la lumière de la face de Dieu; notre isolement serait insupportable sans la communion du Sauveur, et j’ajoute, sans la communion des saints.
27f 90-2
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