28 mars-2 avril. Les nouvelles politiques assez inquiétantes qui nous viennent de Séchéké nous ont dernièrement valu la visite de Léwanika. Il était négligé sur sa personne, bourru et peu communicatif. Le mécontentement perce çà et là. Il n’a pu encore organiser sa grande chasse annuelle ; ceux qui le peuvent, prétextant la famine, se soustraient à ses ordres. Ses émissaires font des battues dans les villages, on se sauve à leur approche. Quel monde ! Voici un messager du roi. Bonnes nouvelles, sûrement; il vient tout rayonnant; il rit de plaisir. Depuis l’affaire de Moëyanyana, que Léwanika s’est donné la peine de me faire savoir dans tous ses détails, je me défie un peu des rires des ba-Rotsi. Kambinda s’en aperçoit et, en bon comédien, prend un air sérieux. « Le roi, dit-il, n’est pas indifférent à tes conseils. Tu l’as réprimandé de ce qu’il gouverne avec une javeline cachée sous son manteau (tue les gens clandestinement), tu lui as dit que Dieu hait l’effusion du sang. Eh bien, il te fait savoir aujourd’hui qu’il a jeté la sagaie cachée loin de lui et ne répandra plus le sang. L’autre jour, on a découvert dans les bois et capturé sept enfants, dont une femme de Mokoubésa,- l’un des chefs de la révolution. Léwanika les a fait venir en plein lékhothla et leur a servi un pot de bière empoisonnée sous leurs yeux. « Vous êtes d’une race maudite, leur « a-t-il dit, vos pères ont tué les rois qui les avaient comblés de biens, ils « ont massacré mes propres enfants. Le jour de la vengeance est venu pour a moi. Je ne vous casserai pas la têté,' je ne vous transpercerai pas de la « sagaie, mais vous allez tous boire cette bière empoisonnée de moati. Et « si votre dieu peut vous sauver, c’est son affaire. » Ils burent, ou plutôt on leur fit avaler la potion fatale, on les mit dans un canot, et on alla les abandonner sur un îlot désert pour y mourir ! » Depuis notre arrivée ici, ma chère femme est d’une faiblesse extrême. Le voyage en wagon l’a beaucoup éprouvée. Nous avons longtemps logé dans notre vieille voiture qui ne garantit plus ni du vent, ni de la pluie. Notre chaumière en roseaux est terminée ; bien crépie en dedans et en dehors, elle a de la peine à sécher et, quoiqu’elle soit infestée de termites, nos deux cham- brettes sont pour nous un vrai petit palais. Nous sommes étonnés de ce que nous possédons pour la rendre confortable et gentüle, et nous nous sentons pénétrés de reconnaissance envers notre bon Père céleste. Mokouaé, la reine, d’abord, puis Katoka, sa soeur; sont venues passer plusieurs jours avec nous. Il a fallu plus d’une fois les faire circuler dans nos deux chambres avec toute leur suite. Elles étaient tout émerveillées, comme nous jadis dans le palais de Versailles. Ce qui les étonnait le plus, c’étaient nos croisées, notre glace et nos chaises. En s’extasiant devant chaque objet séparément, Mokouaé demandait : « En avez-vous fait part au roi, mon frère ? » Elle se prélassait, ou siégeait fièrement sur sa natte dans une robe d’indienne à grand dessin que ma femme lui avait donnée. Elles apprécièrent nos petits cadeaux, se conduisirent, somme toute, avec discrétion, et nous laissèrent une bonne impression. 4 mai. Le grand événement du mois, c’est l'école. Il y a longtemps que nous la désirions, cette école. Nous aurions voulu la commencer en arrivant. Mais il .fallait d’abord se loger, même provisoirement. Encore aujourd’hui, l’école se fait au milieu de travaux de construction qui nous absorbent; elle se fait en plein air, mais elle se fait, et se fait régulièrement tous les jours. Elle compte déjà une vingtaine d’élèves inscrits. C’est le 4 mars, en présence de la reine, que nous l’avons ouverte. Léwanika nous a envoyé deux de ses fils et cinq de ses neveux.; d’autres chefs ont suivi son exemple. On a, non sans peine, construit une hutte pour Litia, les autres se sont fait des abris, le tout entouré d’une palissade. C’est peut-être l’embryon de notre future école normale. Vous ne sauriez croire de quelle sollicitude nous entourons cette école, et avec quelle joie, Aaron surtout, et ma femme et moi. alternativement, lui consacrons tous les jours une partie de notre temps. Nos deux élèves les plus avancés sauront bientôt lire; ils ont tous quelques notions d’histoire biblique et de géographie. Mais ce sont de piètres chanteurs. Chacun de nos petits personnages est venu avec un nombre plus ou moins grand d’esclaves, quelques uns de ceux-ci suivent l’école et se placent derrière leurs maîtres. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à leur faire comprendre que l’enseignement est aussi pour eux. Ce qu’il y a de bien plus grave, c’est la question de savoir comment nourrir toutes ces bouches. Les jeunes chefs, à force de menaces, ont d’abord obtenu l’abondance. La source se tarissant, les gens de Litia épiaient les passants pour les dévaliser ou bien fondaient sur ceux qui osaient nous apporter leurs denrées. Force nous fut d’intervenir souvent. Mais la terreur que la présence de ces princes inspire est telle que notre petit auditoire du dimanche est dispersé, que nous avons eu la disette et qu’il nous a été presque impossible d’avoir des ouvriers. Nos chers élèves ne nous ont pas épargnés. Pour nous remercier des vivres que nous leur donnions autant que nous pouvions, ils se sont mis à manger nos moutons ; mais ils l’ont fait délicatement, comme des pick-pockets roués au métier. Pour obvier à toutes ces coquineries, il HAUT* Z A MBKZK. 3 2
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