XXX La station de Séfoula. — Un pitso. — La mission officiellement installée. — Procès de sorcellerie. — La prédication de l’Évangile. — L’école fondée. — Moeurs zambéziennes. Superstition et cruauté. Séfoula, 1« février 1887. Trois semaines que nous sommes à Séfoula 1 C’est un arrêt, mais pas un repos. Ma chère femme est brisée de fatigue. Il nous en coûtait de nous remettre sitôt à rouler pour visiter Léalouyi, la capitale, à a4 kilomètres d’ici. Mais nous l’avions promis. Le lundi donc, de grand matin, nous serrions la main à nos amis Middleton,Waddell et Aaron et nous nous mettions en route. Kambourou était conducteur d’office. Ngouana-Ngombé, en culottes courtes, mon vieux feutre sur la tête, pataugeait dans les mares et effrayait les oiseaux à coups de fusil : il prétendait chasser. Des hameaux qui bordent la vallée on accourait, autant pour voir la maison roulante que pour nous saluer. Des troupes de gens qui revenaient de la capitale se croisaient avec d’autres bandes qui s’y rendaient, chargées de fagots et de corbeilles de céréales pour leurs maîtres. Le wagon était vide, la plaine et les flaques d’eau qui la parsèment n’offraient aucune difficulté ; le temps était superbe ; nous pouvions donc jouir de ce petit trajet comme d’un jour de Congé. Le roi attendait notre visite : cela n’empêcha pas que, conformément à l’étiquette, j ’envoyai Naroumango pour nous annoncer. Longtemps avant qu’il fût de retour, une foule turbulente était accourue à notre rencontre, se ruait vers le chariot, au risque de se faire écraser, le prenait comme d’assaut, et malgré nous l’envahissait de tous côtés. C’est escortés, harcelés par cette cohue toujours croissante, que nous nous arrêtâmes sur la place publique. Là il faut faire antichambre; ce n’est pas agréable, le soleil est ardent et la poussière nous étouffe. Arrive enfin mon messager avec un sékomboa du roi, un de ses chambellans, dirions-nous en français. « Le roi vous cherche encore une maison et vous prie d’attendre. » Bien, attendons. Bientôt, nouveau message : « Je suis chargé de vous conduire à votre logis à dix pas d’ici. » C’est un chenil délabré que les immondices rendent presque inabordable. Ces ba-Botsi, ces seigneurs qui sont si exigeants quand on les reçoit, quand comprendront-ils les rudiments de l’hospitalité ? Je me sens contrarié, mais à quoi bon ? Le mieux, c’est de prendre la bêche et, avec mes garçons, de me mettre à déblayer. Sur ces entrefaites arrive le roi, accompagné de ses conseillers, pour nous souhaiter. la bienvenue. « Comment, fit-il avec embarras, on vous a mis dans un vilain endroit. ^ Bon, me dis-je intérieurement, la leçon a été comprise. » 9 Un peu plus tard, je dus céder à ses instances; notre voiture était traînée, presque portée par tous les hommes du village, chefs et serfs, près d’une grande hutte royale, entourée d’une vaste cour mise à notre disposition, et située à l’ombre d’un bosquet. Ce petit bocage est un lieu sacré, soigneusement entouré de nattes. Il se compose de mothata, arbres à caoutchouc, d’euphorbes, de bananiers, de quelques plantes grimpantes, etc.; il s’y trouve un nombre infini de cornes de gazelle remplies de mystérieux spécifiques, de charmes de tous genres; une corde tendue comme nos fils télégraphiques semble avoir pour but d’éconduire en pleins champs les mauvais esprits et les sortilèges. C’est le sanctuaire de Léwanika, c’est là qu’il va régulièrement entretenir commerce avec les dieux. Pauvre Léwanika ! son oreiller est plein de soucis plus que de plumes. Son expédition projetée chez les ma-Choukou- Ioumboué rencontre de l’opposition, et l’opposition l’irrite. Il était très agité; il allait et venait; il finit par rester au wagon jusqu’à une heure très avancée. Il me disait de temps à autre une banalité en sessouto, roulait ensuite avec une volubilité surprenante des torrents de sérotsi, puis faisait tout à coup une sortie en sessouto, avec de gros éclats de rire que ses serviteurs favoris, agenouillés devant lui, accueillaient avec d’incessants claquements de mains. « Eh bien, morouti, s’écria-t-il en se tournant vers moi, c’en est fait de mon expédition, tu l’as désapprouvée, et mes gens n’en veulent pas. Ah I fit-il avec aigreur, en claquant la langue et en poussant un profond soupir, tout est difficile avec ces gens-là. Si je parle d’un champ à labourer, ba nyanda, — ils murmurent; d’une maison à bâtir, ba nyanda; d’une chasse, ba nyanda. Ba nyanda ka niella, ba nyanda kaoféla, ba nyandèla isotlé, bontsou boo l — Ils murmurent toujours, ils murmurent tous, ils murmurent pour tout ! Cette gent noire-là ! » Il me faisait pitié. Le lendemain matin, dès sept heures, les tambours, les sérimba, le brouhaha des salutations annonçaient que le roi siégeait au forum le lékhothla. Nous nous y rendîmes. Un pitso avait été convoqué en notre honneur ; il y avait foule. A la requête de Léwanika, j’ouvris la séance par une allocution où je m’attachai à montrer le caractère de notre mission et les bienfaits de l’Evangile pour un peuple. Je m’attendais à ce que le roi parlât à son tour. Quelle ne fut pas notre stupéfaction de voir Gambella, le premier ministre, se lever ensuite et crier à plein gosier : « Ba-Rotsi, vous voyez les barouti devant vous, vous les avez entendus. Si vous n’en voulez pas, ne craignez pas
27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above