fiers de leur mission, levaient la tête, parlaient haut et contraignaient les ma-Ngnété à leur donner abondance de nourriture et à porter leurs paquets. Pour nous, ils étaient pleins d’égards. Pauvres ma-Ngnélé ! quelle pitié nous éprouvons pour eux! Kalangou, qui est un de leurs principaux chefs et un homme très respectable, me confiait ses peines et me suppliait d’exercer mon influence sur le roi — car il croit que j ’ai de l’influence — pour améliorer leur condition. Les chefs de Séchéké venaient de faire une grande chasse de dix jours dans les environs; « ils avaient passé comme une nuée de sauterelles, ne laissant rien derrière eux. « Nous ne nous plaignons pas, disait-il, ce sont nos maîtres. » Vint ensuite un des principaux officiers de la maison du roi — un Sékoumboa — qui, mécontent de la quantité de vivres que Kalangou s’empressa de lui envoyer, saisit ceux qui les lui apportaient et le propre fils de Kalangou et les étrangla à la manière des ba-Rotsi. Le 10 janvier au matin, nous débouchions dans le riche et beau vallon où le Séfoula prend sa source. Il fallait voir la sensation que produisit notre apparition. On accourait de tous les villages, grands et petits, les femmes surtout, hors d’haleine. On prenait les devants à nous barrer le chemin pour mieux voir la dame blanche, un phénomène vivant qu’on n’avait jamais vu dans toute la contrée, et puis c’était un roulement de claquements de mains et une fusillade de « Ghangoué! Khosi! luméla ma rona! y> (Salut, seigneur, bonjour, notre mère !) Ce fut aù milieu d’une foule bruyante, qui grossissait à chaque pas, que nous arrivâmes à la station. Depuis lors, des troupes nouvelles se succèdent chaque jour et plusieurs fois par jour. Quelques personnes apportent de petits présents de bienvenue, des produits de leurs champs et tous des salutations cordiales. Somme toute, nos impressions sont bonnes en étudiant les figures qui nous étudient aussi. Nous cherchons involontairement parmi ces gens « les frères et les soeurs » qui nous sont promis et que la grâce de Dieu nous révélera un jour. Nous cherchons à découvrir aussi parmi eux des ressemblances avec ceux que nous avons quittés, mais que nous portons toujours sur nos coeurs, et nous plaçons mentalement sur leurs têtes des noms qui nous sont chers. Nous les aimerons, ces ba-Rotsi, non seulement comme des créatures humaines pour qui le Sauveur est mort, mais comme des individus sociables. Nous pourrions même espérer de gagner bientôt leur confiance et leur affection, n’était le régime de tyrannie et de méfiance sous lequel ils vivent. Nos chers amis, Middleton et Waddell, étaient en bonne santé. Ils ont eu la vie dure pendant mon absence, et rien d’étonnant à ce qu’ils aient eu quelques attaques, assez légères du reste, de fièvre. C’est avec une émotion mal contenue qu’ils souhaitèrent à ma femme la bienvenue à Séfoula. Ils avaient perdu tout espoir de la voir arriver avant l’hiver. Malgré les pluies incessantés et de grandes difficultés, ils ont réussi à mettre un toit de chaume sur une cabane de deux chambres faites de pieux et de roseaux. II s’agit maintenant de la crépir, d’en faire les parquets de terre battue et de la laisser sécher, ce qui prendra des semaines. En attendant, le wagon nous sert de chambre à coucher; nous prenons nos repas dans une hutte d’herbe ouverte à tous les vents et infestée le soir de moustiques et de toutes sortes d’insectes qui rendent tout travail et même la lecture impossibles. La forêt où nous bâtissons et que j ’avais laissée toute noire, grillée par le feu, est devenue un fourré de broussailles qui croissent vigoureusement. C’est à peine si, à cinquante pas de distance, on pouvait distinguer le toit de la chaumière au milieu de ce taillis. C’était à étouffer. Je m’étonne que nos aides missionnaires aient pu y vivre pendant deux mois. Ces broussailles épaisses, où foisonne un petit serpent noir qu’on dit être très dangereux, sont en même temps hantées par les hyènes et les panthères. Elles ont fait de fréquentes incursions nocturnes au camp, et on a dû leur faire une chasse sérieuse. Il fallait voir la joie de Ngouana-Ngombé et de mes autres garçons quand ils me contaient comment ils avaient tué deux de ces monstres à quelques pas de nos huttes.. Hélas ! dans un village voisin, une jeune esclave qui mourait de faim avait volé de nuit quelques épis de maïs. Elle les rôtissait au feu de nos bergers endormis et les dévorait sans bruit, quand, tout à coup, une hyène fondit sur elle et l’emporta dans les bois. Le lendemain, on ne trouva d’elle que quelques lambeaux de chair et des os épars ! Il faut donc nous fortifier de bonnes palissades et déblayer les broussailles, un travail considérable. Le croirait-on? il m’en coûte de déraciner même un de ces arbustes, moi qui, pendant vingt années, au Lessouto, ai planté des arbres, espérant m’y ensevelir comme dans une forêt. Plus de famine maintenant; il y a abondance de nourriture qui permet d’attendre les récoltes. Nos jeunes gens peuvent toujours grignoter quelques épis de maïs vert qu’on leur donne en passant. Nous pouvons nous pourvoir à bon marché de pourpier des champs, de citrouilles, de jeunes gourdesédibles, etc. Seulement le calicot file. Une pièce est à peine entamée qu’on tremble de la voir finir. Quoi qu’on en pense, le système du troc n’est pas économique. Les frais de transport sont considérables ; notre petite monnaie, ce sont des mouchoirs et des setsiba surtout. On ne peut presque rien acheter, ni obtenir le moindre service sans le setsiba. C’est un cadeau de rigueur pour ce que j’appellerai la bourgeoisie du pays; l’aristocratie est naturellement plus exigeante. On comprend que nous fassions une assez grande consommation de calicot, et que, malgré nos calculs, nous soyons souvent à court. L’âge monétaire, que Léwanika appelle de tous ses voeux sans le comprendre, n’a pas encore lui pour nous.
27f 90-2
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