qu’il voit. Il était en train de faire une échelle quand j’étais là ; mais il est si brusque qu’il m’a cassé une tarière. Je ne l’en ai pas grondé, bien entendu ; je ne l’en ai pas remercié non plus. C’est lundi dernier que j ’ai pu enfin renvoyer les wagons à Séchéké pour chercher ma femme. Je vais suivre en canot pour gagner du temps. Ce n’est pas notre plan primitif. Je devais rester ici pour activer nos travaux d’installation, pendant que ma chère compagne eût fait le voyage toute seule. C’est à ses instances que je m’étais soumis à cet arrangement. Mais le trajet à travers les régions de tsetsé, les sables, les mauvaises rivières et les marécages, est bien autrement difficile et laborieux que nous ne le supposions alors, et Ja saison est si avancée qu’il faut absolument sacrifier quelque chose/ faire un effort désespéré. Le roi est venu voir partir les wagons et donner ses instructions à trois petits chefs et leurs gens qui sont chargés de nous conduire, nous montrer les gués et surtout rassembler les ma-Ngnété et les ma-Totéla pour déblayer le chemin à travers les bois. Il m’amenait un beau jeune boeuf, que l’on mit immédiatement sous le joug pour le dresser, et un autre qu’il tua. Il avait beaucoup à dire et passa la nuit avec nous. Nous discutâmes surtout la question de sa capitale, et, le lendemain, nous chevauchions ensemble pour explorer la vallée dans les environs. Il choisit un endroit, à trois ou quatre kilomètres d’ici, où il s’installera en janvier pendant l’inondation, et s’il répond à ses besoins, il s’y établira alors définitivement, ce qui est à peu près certain. Voyez comme Dieu arrange tout pour faire prospérer son oeuvre. Séchéké, 10 décembre 1886. Voilà, de Séfoula à Séchéké, un grand saut de 478 kilomètres ! Mais il m’a fallu du temps pour le faire. Après avoir expédié mes wagons, construit mes huttes et mon « kraal », fait mes arrangements et mis le travail en train, je me suis occupé de mon voyage. « Rien de plus facile que d’avoir des canots, me disait Léwanika; tu en veux deux, je t’en donnerai quatre. » Mais les jours passaient rapidement* ^ pas de canots. A chaque message, je recevais la même réponse : « Demain ! » et demain c’était encore demain, -té' mais pas de canots. J’étais sur les épines. Si j ’avais eu deux chevaux, je me serais mis en route et j ’aurais rejoint les wagons; mais que pouvais-je faire avec un seul? Enfin, le 16 novembre au soir, arrive Louchanana, un des favoris du roi, qui a charge de ma personne et de l’expédition. Le 17, au point du jour, Middleton attelle le tombereau et me conduit au gué : 10 kilomètres au moins à travers des mares et des étangs. Quelle n’est pas notre stupéfaction de n’y trouver qu’tm seul canot! Le deuxième, nous le trouverons en route, le troisième nous suivra plus tard et le quatrième, le mien, est resté en arrière, et il faut l’aller chercher à i 5 ou 16 kilomètres de là! Me voici donc sur un petit îlot de sable, rôtissant au soleil, répétant tout le jour l’A B G de la patience, ||§- une dure leçon pour un écolier comme moi. Mon voyage est organisé d’une étrange manière. Si c’est ainsi que l’ami Léwanika dirige les affaires du royaume, je ne m’étonne pas qu’il y ait des révolutions. La pirogue arrivée, ^ une pirogue royale de i 3 mètres de long, — mais si vieille et qui a des voies d’eau telles qu’on a de la peine à la maintenir à flot, nous partons. Je fais en passant une visite intéressante à la reine. Nous voici décidément en route. Mais non ! Mon mentor est un chasseur passionné et, bien qu’il m’ait promis de fortes étapes pour racheter le temps perdu, qui ne se rachète jamais, il glisse inaperçu hors du bateau et disparaît pour toute la journée; il chasse à coeur joie, puis va en pèlerinage à quelque tombeau prier pour la pluie et la prospérité de notre voyage. Il reçoit mes réprimandes avec respect, mais sa passion pour la chasse l’emporte sur ses promesses. Gomment résister à la tentation de poursuivre un troupeau de buffles ? Gomment lui faire grise mine, quand il revient au camp triomphant avec deux ou trois belles antilopes? Un soir, une troupe d’éléphants vint s’abreuver près, tout près de notre bivouac. Aussitôt, on éteint tous les feux, on se met à l’affût : Bang ! bang ! bang ! — Un cri plaintif nous fait croire que les balles ont porté. L’animal, resté évidemment seul, va se baigner; nouvelle fusillade, nouveaux gémissements. Le lendemain, des mares de sang disent que nous ne nous sommes pas trompés. On se met donc à la piste, et une heure après l’animal gisait par terre, criblé de balles et transpercé de javelines. Adieu le voyage, car il faut dépecer le pachydermie monstre, — grosse besogne. Du reste, outre la chasse, mes rameurs ne passent pas un village de ma-Khalaka sans le mettre à réquisition, ce qui nous fait perdre un temps immense. Ils ne comprennent pas que je sois pressé. « Si nous n’arrivons pas ce mois-ci, nous arriverons le mois prochain ; patience, nous allons notre petit train. » Aux chutes de Ngonyé, il nous faut laisser ma barque, qui menace à chaque instant de sombrer, et transporter l’autre en aval des cataractes. Du moment qu’ils nous ont aperçus, les ma-Khalaka se sont dispersés et cachés dans les bois, et ce qu’il faut de menaces, d’insultes pour les rassembler et les contraindre à faire leur corvée, c’est inouï. Ce sont de nouveaux délais. Une partie de la bande va à pied, l’autre doit l’attendre et les étapes sont courtes. Et puis le fleuve est au plus bas, la navigation des rapides est fatigante et périlleuse. On n’avance pas. Et moi qui aurais voulu
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