XXIX Travaux d’installation. — Rapports avec le roi. — Un bon dimanche. — Léwanika et le travail manuel. De Séfoula à Séchéké. — La famille réunie. — Séparation en perspective. — Une date. — Attendre de grandes choses. -h- Départ de Séchéké.--^- La dame blanche. — Arrivée à Séfoula. — Les tributs du roi JE- Visite royale. — Le caractère zambézien. Séfoula, io novembre 1886. Me voici donc à Séfoula, sur le petit plateau sablonneux que je vous ai dit, au milieu d’un bois saccagé, et dans une petite tente qui rit et tamise tour à tour la lumière, le vent et la pluie. Je l’ai plantée sous un gros acajou pour avoir de l’ombre. Autour de moi, maintenant, tout est activité. Voici deux garçons qui déracinent des massifs de buissons pour faire place à notre chaumière ; en voilà un autre qui carbonise des pieux pour nos murs, ce qui les préservera de l’humidité et des termites. Au milieu de ce groupe, là-bas, des jeunes gens mesurent avec une satisfaction bruyante les setsiba qu’ils viennent de recevoir pour la construction d’une hutte; en voici d’autres qui apportent en file des perchas et de l’herbe pour en faire une seconde. Elle me coûtera, comme la première, dix mètres de calicot; cinq garçons en auront rassemblé tous les matériaux et l’auront terminée en trois jours ! A cent pas de distance, c’est un bercail qui se bâtit, et, plus près, dans une autre direction, ce sont nos amis, Middleton et Waddell, qui scient à force de bras avec un entrain qui fait plaisir. Quant à moi, je-vais, je viens, je dirige et surveille, mets la main au plus nécessaire, j ’achète du roseau, je marchande du mil, des citrouilles et du manioc, j’échange quelques mots avec mes visiteurs et reprends mon travail. Plus de poisson maintenant, les pluies ont avarié toutes les provisions. La cuisine, qui, jour après jour, répète à peu près le même menu, me donne peu de souci, grâce à Ngouana-Ngombé, qui s’entend mieux que moi à faire de la cassave1 à l’eau et à faire bouillir du mabèlé pilé. Sa montre à lui ne se détraque jamais, et nos repas sont presque aussi réguliers que si nous avions notre bonne ménagère. Notre plateau a déjà l’air un peu moins sauvage. Nous nous y habituerons. 1. Sorte de bouillie ou polenta préparée avec la racine râpée du manioc. Petit à petit, les tronçons cornus et les broussailles disparaîtront; des eucalyptus, déjà semés, et d’autres arbres prendront leur place. Et si jamais nous sommes assez riches pour avoir une pompe hydraulique et amener l’eau de la rivière sur notre coteau, vous verrez quel joli jardin potager nous aurons ! Des fleurs, il en faudra chercher ailleurs et des fruits aussi. Nos rapports avec le roi sont des plus agréables jusqu’à présent. Le surlendemain de notre arrivée, il s’est empressé de nous visiter, accompagné de ses principaux hommes à cheval et d’une suite nombreuse à pied. Il paraissait vraiment heureux de nous voir. Il est parti sans avoir mendié et sans que ses suivants nous aient volé la moindre chose. Ce n’est pas peu dire. J’ai ensuite été passer le dimanche chez lui et j ’ai eu de bons auditoires. J’ai remarqué avec peine cependant que les femmes, au service du matin, se sont cachées derrière la cloison du lèkhoïhla, et que pas une n’est venue au service de l’après-midi. Contrairement à la coutume établie, Léwanika a voulu me recevoir chez lui, au Heu de me laisser aller chez Gambella, le premier ministre. Il fallait que j ’étrennasse sa maison. C’est une construction toute récente, l’oeuvre de marchands ma-Mbari1 et dont il n’est pas peu fier. Ce sentiment- là est bien partagé par tous ses gens. Quelqu’un à qui je demandais le chemin que j’avais perdu, me disait : « Va droit devant toi, et, de l’autre côté de ces arbustes, avant même de voir la ville, une grande maison se dressera devant toi et t'appellera, J> Quand Léwanika, tout radieux, m’introduisit dans ce palais;, je lui dis en plaisantant que j ’étais tenté d’en prendre possession pour ma femme. Il repartit en riant et avec toute la courtoisie d’un gentilhomme : « Ce ne serait que naturel, la maison est la vôtre, mon père ! » Elle se compose de trois pièces de seize ou dix-sept pieds carrés, crépies et plâtrées à la main, avec des plafonds de roseaux si bien faits et si forts qu’on peut se servir du grenier. L’une des chambres a son plafond en pavillon. Tout le bâtiment est construit en pieux et en roseaux, sans un seul clou, car où trouver un clou dans le pays ? Ce sont des fourches qui s’enchevêtrent ingénieusement les unes dans les autres et qui sont tenues en place par des Hens d’écorce. Les murs sont de quatorze pieds de haut, avec une petite véranda qui donne à l’édifice un aspect quelque peu imposant. Ce qui le dépare, c’est le toit. Aucun des ma-Mbari ne savait couvrir, et les ba-Rotsi ont dû le faire à leur manière, c’est-à-dire à l’inverse de la nôtre. Léwanika nous écraserait volontiers d’apprentis, d’hommes faits, qu’il voudrait voir apprendre à faire en un mois ou deux tous les travaux possibles qu’exécutent les blancs. Il a fallu mettre un frein à tant de zèle, car la famine est le maire de notre commune. Le roi lui-même s’essaie à tous les outils 1. Nom donné à tous les métis demi-civilisés de la côte du Benguela.
27f 90-2
To see the actual publication please follow the link above